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Didier Bouvignies
Associé-Gérant, Directeur des gestions
Les marchés ne font ni politique, ni morale. Comme dans l’immobilier, où les investissements sont fonction des loyers perçus et du taux d’emprunt, les investisseurs en actions jugent les programmes sur leur influence vis-à-vis des bénéfices des sociétés. Cette vue, généralement à court terme, prend également en compte le niveau de taux d’intérêt avec lequel ils devront les actualiser.
Concernant les bénéfices, avec son programme pro-business favorisant la croissance et les profits, l’élection de D. Trump est plutôt bien perçue. Les principales mesures concernent :
Ces mesures comportent, néanmoins, un risque non négligeable de hausse des taux d’intérêt dans la composante inflationniste avec :
Mais également dans la composante réelle, en raison :
L’impact de cette élection sur le reste du monde s’avère délicat à envisager, notamment pour la Chine et l’Europe. Pour les entreprises européennes, un retour de Donald Trump à la Maison Blanche est synonyme de politique commerciale défavorable et d’incertitudes géopolitiques considérables, avec des implications négatives pour la croissance du Continent. D’autant que l’Europe, dans les importations américaines, était en progression, à 23 %, alors que la Chine décélérait, à 17 %4. Pour cette dernière, les espoirs d’un plan de relance plus précis, voire plus massif, vont aider à crédibiliser les premières initiatives.
Toutefois les retombées positives d'une croissance américaine, temporairement plus rapide, et d'un dollar américain plus fort peuvent atténuer quelque peu ces dommages. Une croissance plus faible en Europe pourrait aussi faire pencher la balance vers une position légèrement plus souple de la part de la Banque centrale européenne.
L'approche de Trump sur les questions géopolitiques (moindre soutien à l'Ukraine, pression sur Kiev pour faire accepter un armistice dans des conditions favorables à la Russie) reste un enjeu majeur. Leurs conséquences sont aussi importantes pour l'Europe, que pour la Chine, afin d’évaluer la détermination des États-Unis à dissuader une potentielle tentative prise de Taïwan par la force. Les marchés n’auront sans doute pas la volonté d’en anticiper les impacts à ce stade.
Contrairement à 2016, le résultat de cette élection n’est pas une véritable surprise pour les marchés. Les investisseurs ont largement misé sur le « Trump trade » depuis le début du mois d’octobre, en témoignent les hausses de taux ignorées par le marché d’actions qui a continué d’aligner des records successifs.
Plusieurs secteurs devraient sortir gagnants, au premier rang desquels, les Banques, l’Énergie et les Industrielles quand, pour les valeurs de consommation importatrices et les renouvelables, l’horizon s’avère plus sombre. Concernant la Technologie, les effets sont plus incertains. L’éloignement d’une remise en cause des monopoles s’avère plutôt favorable au secteur mais l’appréciation du dollar et les relations difficiles de D. Trump avec les dirigeants de la « Tech » pourraient avoir des effets délétères. Le billet vert devrait profiter de la hausse des taux et des perspectives de croissance, les cryptomonnaies des mesures de promotion de la devise numérique et des craintes sur l’emballement de la dette.
L’histoire des marchés nous incite toutefois à penser qu’il convient de tempérer ces réactions. Les attentes des investisseurs vis-à-vis des considérations politiques ont souvent été déçues. De même, les marchés ont fréquemment préféré un congrès divisé, plutôt qu’un président disposant des pleins pouvoirs. Deux principaux éléments nourrissent cette analyse.
Le Trump 2.0 arrive à un moment du cycle économique très différent que lors de la prise de pouvoir de sa version 1.0 en 2016, avec un rythme de croissance de l’ordre de 3 %, un taux d’épargne des ménages bas et des déficits jumeaux – budgétaire à 6 % et commercial s’élevant à 1 trillion de dollars5. Lancer un programme de relance budgétaire dans ces conditions, alors que le combat contre l’inflation se poursuit, pourrait s’apparenter à jeter de l’huile sur le feu.
Par ailleurs, la formidable réussite économique des États-Unis, à nulle autre pareille, se caractérise par des gains de productivité importants grâce à une flexibilité, une innovation et un soutien étatique générant des retours sur fonds propres de plus de 15 % pour les entreprises cotées1. Ces résultats ont été rendus possibles par un accès à l’épargne abondante des pays excédentaires du reste du monde (Asie, Allemagne, Pays producteurs de pétrole) qui, attirés par cette réussite, ont financé à bas taux d’intérêt les investissements du Private Equity « US America Fund ». Pour que cette dynamique perdure, il faudrait que le cycle se poursuive, alors que la dernière vraie récession remonte à 2008, mais également que les créditeurs acceptent de continuer à financer les déficits d’un partenaire potentiellement plus belliqueux.
Cette élection pourrait également se révéler comme une chance pour l’Europe. Un électrochoc incitant l’Union à réinvestir son excédent d’épargne, actuellement de 400 milliards d’euros5, au sein de sa zone, tant les besoins en matière de défense et de transition énergique s’avèrent nécessaires.
En conclusion, le marché américain évolue sur une ligne de crête où la croissance des bénéfices peut permettre de compenser une prime de risque très faible par des espoirs de baisse des taux. Les mesures de Donald Trump pourraient perturber cette vision et, le marché de taux dictera l’évolution des marchés d’actions. Néanmoins, si le ralentissement de l’emploi observé récemment se confirme, la hausse des taux devrait être plus contenue et se révéler favorable pour les marchés actions.