
Marc-Antoine Collard
Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique
Le message des enquêtes du mois d’août en Europe est clair : l’expansion est menacée. Au Royaume-Uni, l'indice PMI(1) a chuté à 48,6 après une modeste reprise au cours des six mois précédents, alors que les effets négatifs de la hausse des taux d'intérêt sont de plus en plus visibles. Plusieurs entreprises ont ainsi souligné que les incertitudes concernant la croissance économique de même que la persistance de l'inflation pesaient sur leur moral, d'autant plus que le sous-indice des carnets de commandes est tombé à son plus bas niveau depuis plus de trois ans.
En Zone euro, l’indicateur de sentiment économique de la Commission européenne(2) a chuté à 93,3(3), un niveau observé au T3-22 lorsque les craintes quant aux risques de pénuries d’énergie suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont atteint leur paroxysme, et lors de la crise de la dette dans la Zone euro au début des années 2010. Cette détérioration fait écho à la chute du PMI tombé à 47 dans un contexte de forte baisse de la confiance des entreprises du secteur des services. Plusieurs facteurs peuvent expliquer le recul significatif des indicateurs, notamment l’activité économique décevante en Chine et l’accumulation de freins imposés par la politique monétaire. Concernant ce dernier point, le rythme de croissance des prêts aux ménages a enregistré une forte décélération en raison des effets du renchérissement du coût du crédit, notamment immobilier, tandis que la croissance des prêts aux entreprises a également poursuivi sa tendance baissière. D’ailleurs, la dernière enquête de la BCE sur la distribution du crédit bancaire a montré que les conditions d’octroi de crédit aux entreprises ont continué à se resserrer, tandis qu’une part record d’institutions financières ont signalé une baisse de la demande de prêts de la part des entreprises(4).
En Chine, les récentes évolutions font craindre une éventuelle contagion de la faiblesse du secteur immobilier au reste de l’économie, bien que les signaux envoyés par l’enquête PMI du mois d’août se sont avérés ambivalents. La confiance des entreprises dans les secteurs non manufacturiers a diminué de façon inattendue pour atteindre un plus bas en huit mois, passant de 54,1 en juillet à 51,8 selon l’indice S&P Global, alors que les attentes concernant l’activité future sont les plus faibles depuis novembre. Cependant, l’indice manufacturier a atteint 51 contre 49,2 le mois précédent, suscitant l’espoir que les mesures de stimulus annoncées ces dernières semaines insuffleront un regain de confiance et de dynamisme dans l’économie(5). Ainsi, la Banque populaire de Chine a décidé de réduire les taux d’intérêt sur les crédits immobiliers et d’abaisser les exigences en termes d’apport dans le cadre d’une politique qui vise à freiner le ralentissement du secteur immobilier.
À l’inverse de ce que l’on observe en Chine et en Europe, les données macroéconomiques aux États-Unis suggèrent une économie résiliente. En juillet, la consommation est restée robuste, et la demande de main-d'oeuvre demeure globalement positive, avec la création de 187 000 emplois en août qui marque une accélération par rapport aux 157 000 créés le mois précédent. Cette augmentation aurait pu être encore plus significative si elle n'avait pas été entravée par la grève d'Hollywood et une faillite notable dans le secteur du transport routier (6).
Toutefois, la confiance des entreprises a diminué en août pour se situer dans le bas de la fourchette de ce qu’on observe dans la période post-crise financière, suggérant que les risques d’une croissance plus faible qu’anticipé se sont intensifiés. Par ailleurs, la dernière enquête de la Fed auprès des responsables du crédit montre qu’une part importante des banques ont indiqué avoir resserré les conditions de crédit aux ménages. Or, le crédit a joué un rôle déterminant dans le soutien de la consommation alors que le taux d’épargne des ménages s’est fortement replié. De plus, pendant les trois dernières années, les détenteurs de prêts étudiants aux Etats-Unis ont bénéficié d’une suspension du remboursement de leurs prêts totalisant USD1 700 mds, ce qui a offert une marge de manoeuvre financière à des millions d’individus. Cependant, le paiement des intérêts a repris le 1er septembre, auquel s’ajoutera le remboursement du capital le 1er octobre prochain pour près de 43 millions de personnes(7). Outre les divergences géographiques, l’activité économique a été marquée par une divergence sectorielle particulièrement élevée, avec un secteur manufacturier faible, mais une activité robuste dans le secteur des services, nourrissant l’optimisme des investisseurs quant à une croissance mondiale résiliente. Cette divergence s’est toutefois résorbée en août, mais pour des raisons mitigées.
D’un côté, le secteur des services montre des signes évidents de détérioration. De l’autre, le ralentissement du secteur manufacturier se poursuit avec un indice PMI sous le seuil des 50 depuis un an, mais les données du mois d’août présentent des signes d’atténuation de la contraction. Cela étant, le léger redressement du mois d’août – de 48,6 à 49 – est dû presque entièrement à la Chine(8). En effet, en excluant cette dernière, le PMI manufacturier global aurait de nouveau reculé en se maintenant à un niveau qui ne laisse pas présager un quelconque élan dans le secteur, d’autant plus que les sous-indices de la production future et du ratio des nouvelles commandes rapportées aux stocks demeurent à des niveaux suggérant une production en baisse.
En somme, si les investisseurs demeurent optimistes concernant les perspectives économiques des prochains mois, les dernières enquêtes de confiance ne sont pas compatibles – pour l’instant – avec un tel scénario.
Si les risques à la baisse sur la croissance venaient à se matérialiser et à bouleverser ainsi le scénario de résilience de l’économie mondiale des investisseurs, à quelle vitesse les banques centrales réagiraient-elles pour soutenir l’économie ?
La récente baisse de l’inflation est encourageante, mais s’explique essentiellement par la diminution des effets de base sur les matières premières. En revanche, les prix des services et l’inflation des salaires demeurent quant à eux élevés et rigides. Les banques centrales sont donc susceptibles de répondre plus lentement à une remontée des taux de chômage par rapport aux précédents historiques, notamment dans un souci de préserver leur crédibilité.
En somme, le scénario des investisseurs d’un retour relativement indolore des taux d’inflation vers les objectifs des banques centrales s’avère très incertain. À cet égard, l’histoire montre qu’au début des années 1980, le président de la Fed Paul Volcker s’est vu obligé de détériorer le marché du travail pour lutter contre l’inflation. Un sacrifice à court terme pour des gains sur le long terme.
Achevé de rédiger le 6 septembre 2023.
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