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Monthly Macro Insights — Mars 2024

Stratégie  —  12/03/2024

Marc-Antoine Collard

Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique

La résilience de la croissance mondiale en 2024 masque la persistance de fortes divergences régionales. Bien que l'inflation globale dans la plupart des pays du G20 devrait continuer à se normaliser, il est peu probable qu'elle revienne aux objectifs avant fin 2025, et les risques de révisions à la hausse s’avèrent élevés. Ainsi, les banques centrales pourraient être contraintes de rester prudentes plus longtemps que prévu.

Des défis pour les États-Unis…

L'année dernière, la croissance a été particulièrement dynamique aux États-Unis en raison des dépenses publiques élevées et d’une forte consommation des ménages. Cette dernière a été alimentée par la montée en flèche de l'endettement par carte de crédit, les mesures de soutien massives du gouvernement et l'épuisement de l'épargne excédentaire accumulée depuis le début de la pandémie. En revanche, ce moteur de la croissance économique pourrait s'essouffler cette année malgré une baisse de l'inflation pourtant susceptible de renforcer le pouvoir d’achat des ménages. En effet, les défaillances sur les cartes de crédit augmentent, le moratoire sur les remboursements des prêts étudiants a pris fin et le taux d'épargne peut difficilement diminuer davantage.

Bien qu'un mois ne fasse pas une tendance, les consommateurs ont ralenti leurs dépenses en janvier, les ventes au détail ayant baissé plus que prévu (-0,8 % m/m)1, tandis que la hausse du mois précédent a été moins forte qu’initialement estimée. Plus globalement, les indicateurs d'activité à haute fréquence témoignent d’un risque d'affaiblissement de l'économie américaine en ce début d'année 2024.

L'indice ISM de confiance des entreprises du secteur manufacturier a chuté de -1,3 point à 47,8 en février2 - restant ainsi en territoire de contraction pour le 16e mois consécutif - et les sous-indices des nouvelles commandes, de la production et de l'emploi se sont contractés, suggérant que le secteur manufacturier peine à trouver son impulsion. Dans le secteur des services, l'ISM a reculé de manière inattendue de -0,8 point à 52,63, les entreprises s'inquiétant del'inflation, de l'emploi et des conflits géopolitiques en cours.

Alors que les investisseurs semblent pour l’instant occulter les risques de détérioration de l'économie américaine, l'inflation a généralement surpris à la hausse. Les indices de prix hors alimentation et énergie CPI et PCE se sont accélérés en janvier, augmentant tous deux de 0,4 % m/m3, soit le rythme le plus rapide depuis avril 2023 et janvier 2023, respectivement. L'indice des prix à la production a également progressé davantage que prévu. Ces données sur l'inflation pourraient être dues à des facteurs saisonniers inhabituels, ce qui explique probablement pourquoi les investisseurs restent optimistes. En revanche, elles pourraient plutôt être le reflet d’une inflation plus tenace et d’une atteinte plus compliquée de la cible.

En février, le sous-indice des prix de l’ISM services était de 58,63, demeurant supérieur à la moyenne pré pandémique. En outre, l'augmentation des coûts du transport maritime due aux perturbations du commerce en mer Rouge pourrait avoir un impact non négligeable sur l'inflation, tandis que l'allongement des délais de livraison et les perturbations potentielles des chaînes d'approvisionnement représentent eux-aussi des risques haussiers. De plus, selon l'enquête de l'Université du Michigan, les attentes des consommateurs en matière d'inflation à long terme sont restées inchangées pour un troisième mois consécutif, demeurant dans la partie supérieure de la fourchette observée au cours des trois dernières décennies et obligeant la Fed à être vigilante face à un risque de désancrage des anticipations d'inflation.

…et pour la Zone euro

À la fin de 2023, le PIB de la Zone euro se situait globalement au même niveau qu'au troisième trimestre 20223. À la différence des États-Unis, la consommation et l'investissement n'ont guère
progressé l'année dernière, tandis que la faible contribution positive de la demande extérieure à la croissance s'explique par le fait que les importations ont baissé davantage que les exportations.

Concernant les perspectives, l'indicateur du climat économique de la Commission européenne a chuté en février, ce qui ne laisse entrevoir aucun rebond imminent du PIB dans le contexte du cycle de resserrement le plus rapide de l'histoire de la Zone euro. Au contraire, selon le dernier PMI4, l'économie de la Zone euro s'est rapprochée de la stabilisation en février (49,2), les entreprises des services (50,2) ayant connu une expansion de l'activité économique pour la première fois en sept mois, compensée en partie par un nouveau recul de l'industrie manufacturière (46,5)5. Pour l'instant, les investisseurs ont privilégié le signal d’amélioration du PMI, tablant ainsi sur une accélération de la croissance du PIB dès le deuxième trimestre 2024, notamment grâce à l’assouplissement attendu de la politique monétaire de même qu’au déploiement de l'accumulation de l'épargne excédentaire depuis la pandémie, estimée à environ 1 000 milliards d'euros au troisième trimestre 20232. Cependant, plusieurs facteurs incitent à la prudence. En effet, la répartition de l'épargne entre les actifs liquides, les actifs illiquides et les prêts est déterminante pour comprendre comment ce stock d'épargne excédentaire peut affecter les dépenses de consommation. Ainsi, le financement des achats immobiliers est devenu plus difficile et les ménages ayant recours à un crédit pour acheter un logement doivent le faire avec un apport potentiellement plus élevé.

De plus, la hausse des taux d'intérêt a augmenté le coût d'opportunité de la consommation, car les banques ont augmenté les taux d'intérêt sur les dépôts tout en resserrant le crédit, comme le montre l'enquête de la BCE sur la distribution du crédit bancaire. En conséquence, les ménages ont redirigé leur épargne vers des actifs illiquides à rendement plus élevé.

Ainsi, l’hypothèse selon laquelle l’utilisation de l’excédent d'épargne donnera une impulsion supplémentaire à la consommation pourrait être injustifiée. En effet, les ménages ont renoncé à conserver cet argent sous forme d'espèces ou de dépôts bancaires, qu'ils pourraient facilement liquider pour acheter des biens et des services. Ils l'ont plutôt investi dans des actifs financiers à long terme, plus illiquides, tels que les actions et les obligations, ou dans l'achat d'actifs non financiers tels que le logement. De plus, les ménages situés au sommet de la distribution des revenus détiennent l'essentiel de l'épargne excédentaire, et ont la plus faible propension à consommer, c'est-à-dire qu'ils ont tendance à dépenser moins pour chaque euro supplémentaire de revenu disponible.

La BCE pourrait également décevoir les investisseurs qui anticipent des baisses de taux significatives en 2024. L'inflation a surpris à la hausse en février et, plus fondamentalement, la combinaison d'une faible productivité et d'une croissance soutenue des salaires implique que la croissance des coûts unitaires de main-d'oeuvre reste supérieure au rythme compatible avec l’atteinte de la cible d'inflation à moyen terme.

Perspectives troubles en Chine

Lors de l'Assemblée nationale populaire, l'orientation de la politique macroéconomique et l'objectif de croissance 2024 ont été dévoilés. Ce dernier a été fixé à 5 %, soit le même qu'en 2023. Or, il sera beaucoup plus difficile à atteindre en raison d'un effet de  base moins favorable et d’une croissance mondiale encore moins porteuse que l’année dernière. En plaçant la barre aussi haute, les autorités pourraient soit avoir signalé leur intention de soutenir plus fermement l'économie, ou plutôt avoir tenté de stimuler la confiance des consommateurs et des entreprises.

Selon l'indice de confiance des entreprises manufacturières du NBS, la faiblesse de la demande reste un obstacle pour l'économie, l'activité s'étant contractée pour le cinquième mois consécutif en février, avec un indice tombant à 49,1. À l’inverse, l'indice PMI manufacturier Caixin/S&P Global a légèrement augmenté à 50,9 en février, renvoyant ainsi un signal contradictoire d’expansion et rendant ainsi l’exercice de projections économiques complexe. De son côté, l'inflation a chuté à -0,8 % en janvier6, soit le niveau le plus faible depuis la Crise financière mondiale, symbole d’une économie confrontée à des pressions déflationnistes non négligeables.

Achevé de rédiger le 7 mars 2024.

(1) Source : U.S. Bureau of Labor Statistics, Février 2024.
(2) Source : Eurostat, février 2024.
(3) Indice des directeurs d’achat, indicateur reflétant la confiance des directeurs d’achat dans un secteur d’activité. Supérieur à 50 il exprime une expansion de l’activité, inférieur à 50, une contraction.
(4) Source : FMI, Perspectives de l’économie mondiale, janvier 2024.
(5) Source : Eurostats, février 2024.
(6) Source : U.S. Bureau of Labor Statistics, février 2024.