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Marc-Antoine Collard
Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique
À l’approche de la seconde moitié de l’année 2024, la remontée de la confiance des entreprises témoigne de l’embellie des perspectives économiques mondiales. L'indice PMI1 S&P Global a atteint un plus haut sur 12 mois à 54,1 (+ 1,4 point) en mai dans le secteur des services, soutenu par une amélioration du sous-indice des nouvelles commandes2. Dans le secteur manufacturier, la reprise semble s'être accélérée alors que l'indice a atteint un plus haut sur 22 mois à 50,9 (+0,6 point)2. Par régions, le rythme de croissance s’est accéléré aux États-Unis (+1,3 point, à 51,3) et en Chine (+0,3 point, à 51,7), tandis que le taux de contraction s'est atténué dans la zone euro (+1,6 point, à 47,3) en grande partie grâce au bond de +2,9 pts dans l’indice PMI manufacturier allemand2.
En revanche, les indicateurs nationaux dressent un tableau très différent par rapport aux indices S&P Global et suggèrent plutôt un environnement toujours difficile. En Chine, après seulement deux mois au-dessus du seuil de 50, l'indice PMI manufacturier publié par l’agence statistiques chinoise (NBS) est de nouveau tombé en territoire de contraction, à 49,5 (-0,9 point). Aux États-Unis, l'activité des entreprises semble s'être contractée à un rythme accéléré en mai, l'ISM manufacturier chutant de -0,5 point à 48,72, tandis qu'en Allemagne, l'indice Ifo de confiance des entreprises est resté inchangé à un niveau bas3.
Historiquement, la Fed a eu tendance à diriger le cycle financier mondial en ajustant sa politique avant les autres banques centrales, influençant ainsi considérablement les conditions financières globales. Or, la situation actuelle est quelque peu différente, avec une Fed conservant un biais belliciste tandis que certaines banques centrales des économies avancées ont commencé à réduire leurs taux. Cette divergence, notamment vis-à-vis de la BCE, s’explique par plusieurs raisons.
D’abord, les différences de croissance ont été significatives. La Zone euro a connu une récession l’année dernière et ne connait qu’une timide reprise en ce début d’année. À l’inverse, la croissance américaine s’est montrée très résiliente, bénéficiant d’une forte croissance de la population active tirée par l’immigration, d’une politique budgétaire très généreuse ainsi que de sa position d’exportateur net d’énergie dans le contexte du choc de l’offre énergétique consécutif à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’assouplissement des conditions financières, expliqué en partie par le discours accommodant du président Powell fin 2023 jusqu’en mars dernier, a également favorisé la croissance, une erreur que la Fed ne voudra probablement pas répéter car elle rend la lutte contre l’inflation encore plus compliquée. De plus, bien que les prochaines élections américaines soient incertaines, le résultat, avec le risque que le protectionnisme commercial s’intensifie et la politique budgétaire deviennent encore plus expansionnistes, pourrait alimenter une nouvelle poussée d’inflation, ce que la Fed ne peut ignorer.
Or, au-delà de la baisse des taux en juin, la grande question est maintenant de savoir à quelle vitesse la politique monétaire en Zone euro sera assouplie. La présidente Mme Lagarde a pris soin de ne pas formuler d’orientations prospectives fermes concernant la politique future, d’autant plus qu’il devient de plus en plus difficile d’équilibrer les risques liés à un maintien des taux trop élevés trop longtemps par rapport à une baisse précoce qui mettrait en péril le retour de l’inflation à la cible.
D’une part, certains éléments militent pour la poursuite de la réduction des taux. En effet, l’inflation en Europe résulte en grande partie d’une série de chocs d’offre, lesquels se sont considérablement atténués au cours des derniers trimestres. Cela a conduit à une nette trajectoire désinflationniste par rapport au pic d’inflation de 10,6 % atteint en octobre 2022 . Par ailleurs, l’indice PMI a enregistré un troisième mois consécutif de hausse de l’activité en mai – c’est-à-dire au-dessus du seuil de 50 – et a atteint son plus haut niveau depuis un an. Cette tendance suggère que la Zone euro est sur la voie de la reprise. Toutefois, cette dernière dépend en partie de l’assouplissement de la politique monétaire, l’enquête trimestrielle de la BCE sur la distribution de crédit confirmant que la transmission monétaire continue de constituer un obstacle majeur à la croissance, notamment en freinant la demande de prêts des entreprises et des ménages.
D’autre part, le taux de chômage dans la Zone euro a atteint un niveau record de 6,4 % en avril4 et les tensions sur le marché du travail pourraient alimenter davantage les pressions inflationnistes, ou du moins rendre plus difficile la dernière marche vers l’objectif. Ainsi, les indicateurs salariaux, tels que les salaires négociés ou l’indice du coût du travail, ont été bien plus robustes que prévu au premier trimestre 2024. Combinée à une productivité médiocre, l’inflation des services pourrait s’avérer résiliente en raison des coûts unitaires de main-d’œuvre élevés, surtout si les entreprises décident de protéger leurs marges bénéficiaires en répercutant la hausse de leurs coûts sur leurs prix de vente. D’ailleurs, les économistes de la BCE ont révisé à la hausse leurs projections d’inflation pour 2024 et 2025 de 0,2 point de pourcentage, à 2,5 % et 2,2 % respectivement, ce qui signifie que le retour à l’objectif n’interviendra qu’en 20265.
On retiendra donc de la dernière réunion de la BCE que le Conseil des gouverneurs maintiendra ses taux en territoire restrictif sans s’engager sur une trajectoire prédéterminée. Cela jette le doute sur le scénario des investisseurs selon lequel au moins deux réductions supplémentaires seraient prévues en 2024, d’autant plus que la divergence de politique monétaire avec la Fed pourrait conduire à une dépréciation de l’euro, ce qui augmenterait les prix des importations et par ricochet limiterait les choix politiques de la BCE.
En somme, les perspectives économiques mondiales se sont améliorées récemment, en partie grâce à la perspective d’un assouplissement de la politique monétaire. Néanmoins, il existe de nombreux obstacles à surmonter, notamment vis-à-vis l’inflation qui continue de surprendre par sa résilience et obligeant ainsi de nombreuses banques centrales à maintenir leurs taux d’intérêt élevés. En outre, plusieurs élections auront lieu au cours des prochains mois dans un contexte géopolitique toujours très tendu. Les prix du fret maritime ont bondi au cours des derniers mois – provoqué par les attaques des rebelles Houthis au Yémen contre des porte-conteneurs et ayant entraîné des goulots d’étranglement dans plusieurs ports – ce qui pourrait contribuer à maintenir des pressions à la hausse importantes sur le prix des marchandises, et s’ajouter à la persistance de l’inflation du secteur des services.
Achevé de rédiger le 7 juin 2024.