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Monthly Macro Insights — Février 2024

Stratégie  —  08/02/2024

Marc-Antoine Collard

Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique

Les divergences régionales sont restées importantes à la fin de l'année 2023. Si les effets des taux d'intérêt élevés et du resserrement des politiques budgétaires devraient peser sur la croissance en 2024, les investisseurs restent néanmoins optimistes, prévoyant des baisses rapides des taux directeurs. Or, les politiques monétaires pourraient devoir demeurer restrictives étant données la résilience des marchés du travail et les pressions accrues sur les chaînes d'approvisionnement, et ainsi prendre à revers les attentes du consensus. 

Les États-Unis masquent une période morose au deuxième semestre 2023

Les États-Unis ont continué à faire preuve d'exception à la fin de l'année 2023, le PIB augmentant de 0,8 % par rapport au trimestre précédent, après la hausse de 1,2 % enregistrée au troisième trimestre de 2023(1). De nouveau, les principaux moteurs ont été la consommation des ménages et les dépenses publiques. En effet, la contribution de ces dernières au PIB en 2023 a été deux fois plus forte par rapport à la moyenne de la période 2015-2019, ce qui, combiné à une forte progression du déficit fédéral, montre à quel point l'économie a été stimulée par l'aide du secteur public. La baisse du taux d'épargne et l'essor des cartes de crédit ont également été des facteurs importants de la résilience de la consommation des ménages, mais il est peu probable que ces facteurs perdurent longtemps. De leur côté, les effets retardés du durcissement de la politique monétaire et du resserrement progressif de la politique budgétaire pèsent également sur la balance.

À l'inverse, l'économie de la Zone euro a stagné au quatrième trimestre 2023, le PIB ayant baissé en France (légèrement) et en Allemagne.

L'économie espagnole a affiché une hausse  étonnamment forte (+0,6 % par rapport au trimestre précédent(2)), mais cette progression exagère probablement la force de la demande domestique, les dépenses publiques et les stocks ayant largement contribué à la croissance. Dans l'ensemble, la croissance de la Zone euro est indubitablement faible, surtout si on la compare à celle des États-Unis, bien que l’activité économique ne soit pas pour autant en train de s'effondrer. Les récentes statistiques suggèrent que le début de l'année 2024 reste encore relativement morose, en particulier en Allemagne où l'indice Ifo portant sur la confiance des entreprises a chuté de manière inattendue pour le deuxième mois consécutif en janvier. Le pays continue de souffrir de la faiblesse de la demande mondiale et des conséquences de la crise énergétique, tandis que le rebond des dépenses de consommation ne s'est pas encore matérialisé.

En Chine, la consommation des ménages a clairement été le principal moteur de la croissance économique en 2023, dans un contexte où le regain d'activité a été de courte durée au début de l'année dernière, suite à la levée des restrictions liées à la pandémie. À l'inverse, l'investissement a été beaucoup plus faible qu'avant la pandémie, représentant moins d'un tiers de la croissance du PIB. Les premières données pour 2024 indiquent une économie encore fragile : l'indice PMI(3) manufacturier a légèrement augmenté en janvier, passant de 49 en décembre à 49,2, tout en restant en territoire de contraction pour un quatrième mois consécutif. L'indice PMI non manufacturier est passé de 50,4 à 50,7, le sous indice des services (50,1) suggérant que l'activité a augmenté pour la première fois depuis octobre alors que la confiance dans le secteur de la construction est tombée à son niveau le plus bas en trois mois. Dans le détail, ces enquêtes montrent que la légère amélioration de la confiance des entreprises observée en janvier est principalement due à la demande extérieure, alors que la demande intérieure semble toujours en difficulté, malgré une série de mesures de relance mises en oeuvre depuis le second semestre 2023. Dans l'ensemble, un soutien accru des autorités chinoises pourrait s’avérer nécessaire, d'autant plus que les pressions déflationnistes constituent un défi majeur.

La Banque populaire de Chine (PBOC) a annoncé que le ratio de réserves bancaires obligatoires (RRR) serait réduit de 50 points de base afin d'augmenter la capacité des institutions financières à accorder des prêts et à stimuler l'économie. Il s'agit de la première réduction cette année, après deux réductions l'année dernière, et jusqu'à présent, l'impact sur l’activité semble avoir été plutôt limité puisque le secteur immobilier reste dans une phase de désendettement, avec certains de ses plus grands promoteurs immobiliers confrontés à de graves problèmes d'endettement. En outre, les problèmes de l'immobilier sont étroitement liés aux finances des collectivités locales, qui tirent une grande partie de leurs revenus de la vente de terrains aux promoteurs.

La vigueur du marché du travail pourrait faire dérailler la tendance désinflationniste

Dans un contexte d'amélioration des problèmes des chaînes d'approvisionnement, de baisses des prix des matières premières et de politiques monétaires restrictives, l'inflation a reflué au cours des derniers trimestres. Selon les dernières projections du FMI, l'inflation dans les économies avancées devrait passer de 4,6 % en 2023 à 2,6 % cette année, restant ainsi supérieure aux objectifs de la plupart des banques centrales pour la quatrième année consécutive(4).

Or, le risque d'une inflation persistante, nécessitant des taux directeurs élevés, semble être largement sous-estimé par les investisseurs. Les grandes compagnies maritimes ont cessé d'utiliser la mer Rouge - par laquelle transite plus de 10 % du commerce mondial - les Houthis ayant attaqué plusieurs navires commerciaux à l'aide de drones, de missiles et de vedettes rapides. Ces attaques ont entraîné une forte hausse des coûts de transport et un allongement des délais de livraison, ce qui a perturbé les calendriers de production et a accentué les pressions sur les prix. Combinée à la guerre qui se poursuit en Ukraine, cette situation risque d'engendrer de nouveaux chocs négatifs au niveau de l'offre mondiale, avec des hausses des prix des denrées alimentaires, de l'énergie et des transports. En outre, le conflit à Gaza pourrait s'étendre à l'ensemble de la région, responsable de la production d’environ 35 % des exportations mondiales de pétrole.

Les tensions sur la plupart des marchés du travail suscitent également des inquiétudes. Dans la Zone euro, le taux de chômage s'est maintenu à 6,4 % en décembre(5), un record. De nombreuses entreprises ont conservé plus de salariés qu'elles n'en avaient besoin dans l'espoir de pouvoir augmenter leurs capacités de production lorsque la demande se redressera. En conséquence, les risques de nourrir les pressions salariales et, par ricochet, d’aboutir à un taux d’inflation à moyen terme supérieur à la cible, restent élevés. La plupart des membres de la BCE ont tenté de contrer les attentes des investisseurs concernant des baisses de taux imminentes. La présidente Mme Lagarde a également insisté sur le fait que les données concernant les salaires sont d'une importance cruciale pour déterminer le calendrier d’un assouplissement monétaire. Or, ces données ne sont attendues qu’après la réunion de la BCE du 11 avril prochain, ce qui laisse à penser qu'une première baisse des taux est peu probable avant la mi-2024, soit plus tard que ce qui est anticipé par les investisseurs.

Aux États-Unis, les emplois vacants ont augmenté de manière inattendue au cours des deux derniers mois de 2023, suggérant une demande de main-d'oeuvre solide malgré le fait que le nombre de personnes quittant volontairement leur emploi a touché un plus bas en près de trois ans. En outre, 353 000 emplois ont été créés en janvier, soit presque deux fois plus que prévu, et la moyenne sur trois mois a atteint près de 290 000, le niveau le plus élevé depuis mars 2023(6). Cette situation pourrait conduire à la persistance d'une inflation élevée dans le secteur des services. D’une part, le rythme de croissance des salaires reste élevé puisque le marché du travail tendu offre aux travailleurs un fort pouvoir de négociation. D’autre part, les entreprises disposent d'un pouvoir de fixation des prix élevé grâce à une économie dynamique.

Dans ce contexte, le président de la Fed M. Powell a corrigé le tir en adoptant un ton beaucoup moins accommodant que lors de la réunion de décembre dernier où il avait étonné en suggérant que des baisses du taux directeur étaient à l'ordre du jour. Il semble donc que la Fed ne fera pas cavalier seul.

En somme, l'inflation sous-jacente reste supérieure à l'objectif dans la plupart des pays et la croissance des coûts unitaires de main-d'oeuvre s’avère généralement supérieure à des niveaux compatibles avec les objectifs d'inflation à moyen terme. En conséquence, il est très incertain que l'épisode inflationniste qui a débuté en 2021 se termine rapidement, et un assouplissement monétaire significatif tel qu'il est attendu par les investisseurs pourrait bien être mal avisé.

Achevé de rédiger le 6 février 2024.

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(1) Source : U.S. Bureau of Labor Statistics, Février 2024.
(2) Source : Eurostat, février 2024.
(3) Indice des directeurs d’achat, indicateur reflétant la confiance des directeurs d’achat dans un secteur d’activité. Supérieur à 50 il exprime une expansion de l’activité, inférieur à 50, une contraction.
(4) Source : FMI, Perspectives de l’économie mondiale, janvier 2024.
(5) Source : Eurostats, février 2024.
(6) Source : U.S. Bureau of Labor Statistics, février 2024.