
Marc-Antoine Collard
Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique
La croissance en Chine a été très volatile depuis la réouverture de son économie début 2023. Selon les derniers indices PMI(2), l’activité dans les secteurs manufacturier et des services s’est contractée en novembre. En effet, l’indice de confiance des entreprises du secteur manufacturier a chuté à 49,4(3), pour s’inscrire comme le deuxième mois consécutif en territoire de contraction. L’indice est tombé à 49,3(3) dans les services, qui ont été freinés par la baisse de la consommation et de l’activité dans les secteurs du tourisme et du voyage consécutive à la fin de la période de vacances. Il s’agit du plus bas niveau jamais enregistré, période de pandémie exclue. L’unique point positif se trouve dans le secteur de la construction, avec une hausse du PMI de 53,5 à 55(3). Bien que l’accumulation des mesures de soutien ait renforcé la confiance des investisseurs dans leurs perspectives d’une amélioration de la croissance au cours du premier semestre 2024, ces données suggèrent que la dynamique reste fragile et incertaine.
Sans pour autant être en chute libre, la plupart des économies avancées ont enregistré une croissance négative du PIB au troisième trimestre 2023, alors que l’impact du resserrement des conditions financières, de la faible croissance des échanges commerciaux et de la baisse de la confiance des ménages se fait de plus en plus sentir. La confiance des entreprises reste faible dans un contexte d’alourdissement du service de la dette et de resserrement des conditions de crédit, avec une contraction des nouveaux prêts aux entreprises non financières de la Zone euro.
Rare exception, le PIB américain a bondi de 1,3 % en trimestre glissant (t/t)(4) – ou 5,2 % t/t annualisé(4) – rassurant ainsi les investisseurs sur le fait que le resserrement monétaire le plus rapide depuis plusieurs décennies n’a pas suffi à faire dérailler l’économie américaine. Toutefois, la surperformance des États- Unis peut être expliquée en grande partie par des facteurs temporaires qui ne devraient probablement pas se reproduire. De plus, compte tenu des délais de transmission de la politique monétaire, la faiblesse de la croissance du PIB semble se profiler à l’horizon.
Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, plusieurs gouvernements ont apporté un soutien considérable aux ménages et aux entreprises pour les aider à faire face au choc énergétique qui s’en est suivi. Les dépenses liées à la défense ont aussi augmenté dans de nombreux pays, principalement en Grèce et dans certains pays d’Europe centrale et de l’Est, mais aussi dans plusieurs économies d’Europe de l’Ouest, liées notamment à l’aide militaire apportée à l’Ukraine. En outre, l’accélération de la mise en oeuvre des plans de relance européens « Next Generation EU » a stimulé les dépenses dans certaines économies européennes. Aux États-Unis, l’augmentation des dépenses en matière de sécurité sociale et de santé, ainsi que des recettes fiscales moins élevées, ont aussi entraîné un assouplissement significatif de l’orientation budgétaire.
Ainsi, malgré l’un des resserrements monétaires les plus rapides depuis près de 40 ans, la résilience de l’économie mondiale dans la première moitié de cette année a surpris la majorité des économistes. À tel point que certains investisseurs auraient même pu conclure que la politique monétaire était devenue inopérante. Or, l’assouplissement de cette dernière a joué un rôle central en atténuant les effets négatifs du resserrement monétaire.
Cette divergence dans le policy-mix(5) se dissipe à présent, à mesure que les politiques de soutien sont progressivement supprimées, et que des initiatives de consolidation budgétaire se multiplient dans la majorité des pays, bien qu’à un rythme modéré, afin de limiter les risques liés à la soutenabilité des dettes publiques.
En effet, les niveaux de dette sont aujourd’hui plus élevés qu’avant la pandémie. De plus, les montants de paiement d’intérêts devraient continuer d’augmenter à mesure que la dette à faible rendement arrive à maturité et se voit remplacer par de nouvelles émissions à rendement plus élevé, tandis que la réduction des portefeuilles d’obligations détenus par les banques centrales se poursuit dans le cadre du resserrement quantitatif en cours.
L’inflation globale a diminué dans la plupart des économies au cours de l’année, mais elle reste généralement au-dessus de la cible, alors que les effets de base positifs de la réduction des prix de l’énergie s’estompent. Les récentes communications des banques centrales indiquent que le risque d’un nouveau resserrement s’est considérablement atténué et le marché des taux intègre désormais des probabilités relativement élevées d’un assouplissement de la part de la BCE et de la Fed dès le début 2024. En l’occurrence, les futures(6) prévoient près de cinq baisses de 25 points de base du taux directeur de la Fed d’ici la fin de l’année prochaine(7).
Alors que l’inflation sous-jacente a reculé au cours des derniers mois grâce à des pressions baissières sur les prix des biens, celles des services ne s’amenuisent que timidement, dans la mesure où ce sont les salaires qui constituent généralement le principal coût de production dans le secteur.
Certes, les premiers signes d’une détente du marché du travail ont commencé à apparaître dans plusieurs économies, notamment un ralentissement de la croissance de l’emploi, un nombre plus faible d’emplois vacants, et dans certains cas, une légère remontée du taux de chômage. Par ailleurs, la croissance nominale des salaires commence aussi à s’essouffler.
Cependant, la croissance des coûts unitaires de main d’oeuvre (CUM) demeure élevée en raison de plus faibles gains de productivité, à l’exception – encore une fois – des États-Unis. Bien que le lien entre CUM et inflation des prix varie dans le temps, entre pays et entre secteurs, il n’en reste pas moins que la tendance récente représente un réel défi pour les banquiers centraux, qui doivent également faire face à des anticipations d’inflation plus élevées. En conséquence, la politique monétaire devrait demeurer restrictive jusqu’à l’apparition des signes très clairs que les pressions inflationnistes sous-jacentes s’atténuent, et que les attentes en termes d’inflation se modèrent.
Il faudra toutefois du temps pour clairement identifier ces dynamiques désinflationnistes, et il est loin d’être certain que « l’immaculate disinflation », c’est-à-dire une baisse indolore de l’inflation, soit même possible. Des hausses de taux supplémentaires pourraient toujours être nécessaires si les pressions inflationnistes s’avèrent persistantes, ou si les conditions financières continuent de s’assouplir.
En effet, pour avoir un impact sur la croissance et, à terme, sur l’inflation, le resserrement des conditions financières doit demeurer persistant. La dernière flambée des marchés actions et la baisse des taux souverains, associées à un plus grand optimisme des investisseurs quant à un atterrissage en douceur, pourraient ironiquement pousser les banquiers centraux à adopter des tons plus hawkish(8) afin d’éviter un assouplissement injustifié des conditions financières qui mettrait en péril leurs efforts pour refroidir l’économie. En somme, les attentes des investisseurs en matière de baisse des taux pourraient s’avérer malavisées… à moins que leur scénario de résilience se révèle être trop optimiste.
Achevé de rédiger le 5 décembre 2023.
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