Connexion

Mot de passe oublié ?

Code d'accès

Connexion

Mot de passe oublié ?

Connexion

Monthly Macro Insights — Avril 2025

Stratégie  —  10/04/2025

Marc-Antoine Collard

Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique

La croissance mondiale est restée relativement résiliente au début de l'année 2025. Toutefois, l’accélération des flux commerciaux mondiaux en anticipation des mesures tarifaires de l’Administration Trump, en particulier entre l'Asie et l'Amérique du Nord, a fortement faussé la réalité. En fait, les risques de stagflation et de récession ont tous deux augmenté de manière significative.

La vision de Trump...

Le président américain Trump a annoncé le 2 avril la plus grande escalade des droits de douane américains en un siècle. Un droit de douane de base de 10 % sur les produits importés a été décidé, tandis que certains pays seront également soumis à des droits supplémentaires pouvant aller jusqu'à près de 50 %1. Quelques secteurs, tels que les produits pharmaceutiques et les semi-conducteurs, ont été exemptés pour l'instant, mais seront concernés lors d’une décision ultérieure.

Cette stratégie a été décrite comme un effort visant à créer aux États-Unis des ressources pour gérer la dette américaine, rapatrier sa base industrielle et renégocier sa position dans l'ordre mondial. Sur ce dernier point, les droits de douane seraient déployés en vue d’un remodelage des alliances mondiales, devenant un moyen de pression alors que les alliés qui s'alignent sur les priorités américaines bénéficieraient d'un allègement tandis que les autres devraient faire face à des coûts plus élevés.

En ce qui concerne les finances publiques, les projections les plus récentes du Congressional Budget Office confirment que les perspectives budgétaires des États-Unis sont sur une trajectoire insoutenable, alimentée par la hausse des coûts d'intérêt lesquels s'élèvent à 881 milliards d'USD2, dépassant ainsi les autres composantes du budget fédéral. Étant donné que la Fed n’est pas pressée d'abaisser son taux directeur, l'administration Trump estime qu'en introduisant des droits de douane radicaux, elle crée précisément le type d'incertitude économique qui pousse les investisseurs vers des actifs plus sûrs tels que les bons du Trésor, ce qui fait baisser les taux d’intérêt. En outre, si elle était imposée de manière permanente, la nouvelle politique commerciale augmenterait les recettes fiscales de plus de 2 500 milliards de dollars sur la période 2026-20353. Combinées aux réductions de dépenses, la baisse des coûts d'emprunt et l'augmentation des recettes permettraient ainsi d'alléger la trajectoire de la dette.

Mais le pilier le plus important de la stratégie de Trump est sans doute la croissance économique, les droits de douane servant d'interrupteur à une supposée relance de l'industrie manufacturière. En effet, en rendant les importations plus chères, Trump pense créer un espace pour que les producteurs américains puissent revenir sur le marché.

... est confrontée à la réalité

Les économistes ont compris depuis longtemps que des droits de douane plus élevés ne réduisent pas, en général, les déficits commerciaux. En fait, les données montrent que les pays où les droits de douane sont plus élevés ont en réalité des déficits commerciaux plus importants.

Alors que la nouvelle politique américaine était censée être calibrée pour compenser les barrières tarifaires, non tarifaires et monétaires de ses partenaires commerciaux, elle s’est au contraire avérée totalement arbitraire, ne se concentrant que sur les balances commerciales bilatérales, pourtant à bien des égards le reflet normal des avantages comparatifs. Par exemple, les États-Unis importent de l'aluminium des pays qui peuvent le produire le plus efficacement, comme le Canada, tout en l'incorporant dans leurs exportations, comme les avions, où ils ont l'avantage. Cela tendra à creuser le déficit commercial américain avec les producteurs d'aluminium, mais à l’améliorer avec les importateurs d'avions américains. En fait, les pays qui ont réorganisé leur économie pour répondre aux besoins des États-Unis ont été pénalisés de manière disproportionnée par l'augmentation des droits de douane. Par exemple, les importateurs de vêtements passeront du Bangladesh, où l’industrie du textile est grandement compétitive mais où les droits de douane sont de 37 %, à l'Inde où ils sont de 26 %. Ce faisant, les importateurs subiront des coûts liés à la relocalisation, mais aussi à l’incertitude. En effet, à la suite de l’entrée en vigueur des tarifs,  la balance commerciale bilatérale avec le Bangladesh s'améliorera alors que celle de l'Inde se détériorera. L'administration américaine décidera-t-elle alors d'augmenter les droits de douane dits "réciproques" contre l'Inde et de les abaisser pour le Bangladesh ? Par ailleurs, les vêtements fabriqués en Inde pourraient remplacer ceux du Bangladesh sur le marché domestique américain, mais les usines basées aux États-Unis resteront de toutes façons non compétitives par rapport à ces deux pays.

Dans l'ensemble, ajuster une politique commerciale en se basant uniquement sur le solde de la balance commerciale, c'est méconnaître la raison fondamentale pour laquelle les pays commercent. En outre, le récent accès d'imprévisibilité risque également de priver les États-Unis de l'un de leurs atouts importants et différenciateurs : la confiance des investisseurs dans le cadre politique rationnel et prévisible.

La Fed face à un défi complexe

La nouvelle politique commerciale entraînera une hausse de l'inflation non seulement sur les produits importés, mais également sur les prix des biens produits localement puisque les coûts des intrants vont grimper, tandis que les perturbations des chaînes d'approvisionnement se traduiront elles-aussi par une pression à la hausse des prix.

Cependant, la croissance sera affectée négativement. En effet, ces droits de douane constituent une hausse d'impôt et, selon la Tax Foundation4, l'augmentation cumulée de 20 points de pourcentage des taux tarifaires cette année constituerait la plus forte hausse d'impôt depuis le Revenue Act de 1968, qui a précédé la récession de 1969-70. En outre, la transmission du choc tarifaire sera probablement amplifiée par son effet négatif sur la confiance des agents économiques. Même avant le choc du 2 avril, les enquêtes du Conference Board et de l'Université du Michigan, ainsi que les indices ISM, montraient que le moral des entreprises et des consommateurs était en berne.

Bien que les importations américaines chuteront radicalement, il est peu probable que le commerce extérieur soit un moteur de croissance. En effet, le plan dévoilé par Trump est susceptible de provoquer des représailles généralisées contre les exportations américaines dans des secteurs clés tels que l'agriculture, la technologie et les services. Rompant avec sa réaction mesurée à l'augmentation précédente de 20 % des droits de douane plus tôt cette année, la Chine a imposé des droits de douane de 34 % sur toutes les importations américaines1. L'Union européenne devrait également prendre des mesures de rétorsion, notamment en empêchant les entreprises américaines de soumissionner à des marchés publics et en imposant des restrictions aux entreprises technologiques et aux institutions financières américaines. Le Canada a porté plainte devant l'OMC concernant les droits de douane sur les automobiles, tandis que le premier ministre japonais M. Ishiba a averti que les droits de douane entraveraient la capacité d'investissement de son pays, une menace à peine déguisée concernant les futurs investissements directs étrangers aux États-Unis.

Jusqu'à présent, les investisseurs semblent convaincus que l'effet négatif sur la croissance sera prédominant, comme le montrent les attentes croissantes d’une baisse rapide du taux directeur de la Fed en raison de son double mandat de plein emploi et de stabilité des prix. Toutefois, ce raisonnement est incomplet à deux égards importants.

Premièrement, le ralentissement de l'activité économique pourrait ne pas générer de capacité excédentaire sur le marché du travail aussi rapidement que par le passé. Avec l'effondrement de l'immigration clandestine, la croissance très lente de la population active et la décision de l'administration Trump d'augmenter sensiblement les expulsions, de très faibles gains d'emplois mensuels pourraient suffire à empêcher le taux de chômage d'augmenter de manière significative, du moins à court terme.

Deuxièmement, la Fed aura du mal à ignorer les augmentations de prix liées aux droits de douane si elles entraînent une hausse des attentes en matière d'inflation, c'est-à-dire si elles ne sont pas transitoires. En mars, les personnes interrogées dans le cadre des enquêtes sur les consommateurs de l'Université du Michigan s'attendaient à ce que l'inflation à long terme atteigne en moyenne 4,1 %, soit le niveau le plus élevé en près de 35 ans5. D’ailleurs, le président de la Fed M. Powell a souligné son obligation de maintenir les anticipations d'inflation de  long terme bien ancrées et de s'assurer qu'une augmentation ponctuelle du niveau des prix ne devienne pas un problème d'inflation permanent.

En somme, depuis la pandémie, l'économie américaine a prouvé à maintes reprises sa résilience et défié les prévisions de récession. Pour autant, les chocs s'accumulent et le durcissement de la guerre commerciale entraîne l’économie mondiale en terrain inconnu. Ainsi, les droits de douane complètement arbitraires annoncés le 2 avril augmentent considérablement les risques de stagflation et de récession, ce qui explique en grande partie les récentes turbulences des marchés financiers. Les attentes d'une baisse du taux directeur ont certes augmenté, mais l’inflation représente une contrainte significative qui ralentira la fonction de réaction de la Fed, ce qui pourrait doucher les espoirs des investisseurs.

Achevé de rédiger le 08 avril 2025.

(1) Source : Bloomberg, Avril 2025
(2) Congressional Budget Office : The Accuracy of CBO’s Budget Projections for Fiscal Year 2024
(3) Source : Tax Foundation et Yale Lab, avril 2025.
(4) Tax Foundation est un groupe de réflexion international basé à Washington, D.C., qui collecte des données et publie des études sur les politiques fiscales américaines aux niveaux fédéral et étatique.
(5) Source : Université du Michigan, enquêtes sur les consommateurs.