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Monthly Macro Insights — Avril 2024

Stratégie  —  08/04/2024

Marc-Antoine Collard

Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique

Les données récentes suggèrent que l'inflation pourrait rester élevée pendant un certain temps et limiter la marge de manœuvre des banques centrales. Malgré des taux directeurs plus élevés pendant plus longtemps, les investisseurs restent convaincus que cela ne fera pas dérailler la croissance mondiale.

La désinflation des biens marquerait une pause…

L'année dernière, l'inflation a rapidement baissé sans que l'emploi et l'activité ne soient pénalisés. Toutefois, après avoir atteint 5 % en taux annuel au premier semestre 2023 et reflué à 3 % au deuxième semestre 2023, l’inflation sous-jacente dans les économies avancées s'est redressée au premier trimestre 2024 (1) . En effet, le déclin de l'inflation des biens a contribué de manière significative à la tendance baissière de l'année dernière, mais cette désinflation s'est estompée au cours des derniers mois et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, le secteur manufacturier mondial montre désormais des signes de reprise. L'indice PMI (2) s'est établi à 50,6 en mars, contre 50,3 en février, et a atteint son niveau le plus élevé depuis juillet 2022 (3). Parallèlement, le sous-indice des prix s’avère plus élevé que l'année dernière, signe d'un raffermissement du pouvoir de fixation des prix des entreprises.

En outre, malgré une stabilisation récente, les frais de transport maritime sont deux fois plus élevés qu'au mois de décembre dernier. Les transporteurs ont cessé d’emprunter la mer Rouge (par laquelle transite plus de 10 % du commerce mondial) suite à des attaques de plusieurs navires commerciaux par les Houthis à l’aide de drones, de missiles et de vedettes rapides. Ce bouleversement des voies maritimes a fortement augmenté les coûts de transport et allongé les délais de livraison, ce qui pourrait contribuer à l'inflation des biens. L'effondrement du pont Francis-Scott-Key à Baltimore, port américain clé notamment pour les constructeurs automobiles et d'autres fabricants, pourrait également engendrer des perturbations sur les chaînes d'approvisionnement mondiales.

De plus, après avoir été un frein important à l'inflation globale en 2023, les prix de l'énergie sont repartis à la hausse. Les attaques ukrainiennes contre les infrastructures énergétiques russes, la politique de restriction de l’offre de l'OPEP et les tensions au Moyen-Orient sont autant d’éléments ayant soutenu les prix. Si le prix du Brent devait se maintenir autour de 87 USD le baril (4), l'impact sur l'inflation l'été prochain pourrait être notable et contribuer à des surprises à la hausse.

… alors que l’inflation des services persiste

Dans le même temps, l'inflation des services reste élevée, à la fois par rapport aux normes prépandémiques et par rapport à l'inflation des biens, dans un contexte de coûts de main-d'œuvre élevés et de marchés du travail tendus. Sur ce dernier point, les données récentes montrent des signes mitigés sur l'évolution de l'offre et de la demande de travail, mais la plupart des indicateurs de demande restent élevés dans les pays de l'OCDE. Par exemple, le taux de chômage dans la Zone euro est à son plus bas niveau depuis l’avènement de l'euro. Aux États-Unis, le ratio des postes vacants par rapport aux chômeurs est descendu à 1,4  contre environ 2 atteint en 2022 (5), ce qui indique un certain essoufflement de la dynamique de l’emploi. Toutefois, ce ratio reste plus élevé qu'avant la pandémie et se maintient autour de 1,4 depuis plusieurs mois, ce qui est le reflet d’un marché du travail toujours tendu et d’une croissance des salaires élevée.

La productivité est une carte joker

Combinée à la faiblesse de la productivité, la forte croissance des salaires soutiendra très probablement les pressions sur les prix dans les services, où la main-d'œuvre a un impact considérable sur les coûts finaux. Cependant, le réveil de la productivité américaine a stimulé l’espoir que la production et les revenus pourraient augmenter rapidement sans exercer de pression à la hausse sur l'inflation. En effet, au cours des trois derniers trimestres de 2023, elle a progressé à un rythme d'environ 4 % aux États-Unis (6), soit beaucoup plus rapidement que la moyenne observée depuis les années 1970 et contribuant à ralentir fortement la progression des coûts unitaires de main-d’œuvre. Comment expliquer cette performance ?

Premièrement, force est de constater que la productivité est volatile. Elle a en fait baissé en 2022 et au début de 2023, de sorte que le rebond récent pourrait n’être qu’un ajustement par rapport à des données antérieures médiocres. Historiquement, les périodes de croissance forte, s’étalant sur plus d’une année, sont rares, et l'identification des causes est notoirement très complexe.

Certains investisseurs ont souligné que les grands projets d'investissement récents, tels que ceux liés à la loi sur la réduction de l'inflation (IRA) ou à l'intelligence artificielle (AI), ont stimulé la productivité. Si ces investissements sont certes susceptibles d'accroître la croissance de la productivité à long terme, ils s'étaleront sur de nombreuses années et n’ont donc probablement pas eu d'impact significatif à court terme.

Un autre facteur est la correction des problèmes des chaînes d'approvisionnement et des goulots d’étranglement. Bien que ce facteur puisse être convaincant, ce coup de pouce ne serait que temporaire une fois les problèmes résolus. Ainsi, il s'agirait d'un facteur isolé qui a augmenté temporairement le niveau, mais pas le taux de croissance à long terme de la productivité.

D'autres ont également affirmé que le rebond de la productivité était lié aux changements dans l'organisation du travail et à l'utilisation de la technologie au cours de la période post-pandémique. Si ces changements ont pu influer sur le niveau de la productivité à court terme, il est également peu probable qu'ils soient à l'origine d'une croissance soutenue de la productivité. En somme, si l’affaiblissement des coûts unitaires de main-d’œuvre aux États-Unis est une bonne nouvelle, il serait hasardeux de conclure que cette dynamique est le fruit de changements structurels de long terme.

Un dernier kilomètre compliqué

Le resserrement de la politique monétaire en 2022-23 a pesé sur l'activité économique, mais a été compensé par la grande largesse des politiques budgétaires, en particulier aux États-Unis où le déficit public s'est considérablement creusé. En outre, le mécanisme de diffusion semble avoir été contrecarré par l'assouplissement significatif des conditions financières depuis le début du quatrième trimestre de l'année 2023.

En effet, le début du mois de décembre a été marqué par un bras de fer entre les marchés et les banques centrales, les investisseurs étant convaincus que les baisses de taux seraient rapides et importantes. Dès lors, la communication des banques centrales s'est efforcée de dissiper cet optimisme jugé excessif. Dans l'ensemble, les rendements des obligations d'État ont diminué depuis octobre dernier, même s'ils ont subi des fluctuations importantes, tandis que les marchés boursiers ont enregistré des gains substantiels. De plus, la compression de la volatilité du marché des actions (VIX) s'est poursuivie et les écarts de crédit ont continué à se  resserrer, en particulier dans le segment à haut rendement.

Ainsi, cet assouplissement des conditions financières au cours des cinq derniers mois coïncide avec l'amélioration des enquêtes sur la confiance des entreprises, tant dans le secteur manufacturier que dans celui des services, ce qui laisse présager une reprise progressive dans la plupart des économies avancées au cours de l'année 2024. Les investisseurs prévoient en effet qu'avec la baisse de l'inflation et le maintien d’une dynamique favorable des salaires, les revenus réels rebondiront, ce qui soutiendra l'activité économique même si le stock d'épargne excédentaire accumulé pendant la pandémie a été largement épuisé ou investi dans des actifs non financiers, tels que le logement, et dans des actifs financiers relativement illiquides, comme les actions et les obligations. En outre, il est attendu que l'effet négatif des hausses passées des taux d'intérêt s'estompera progressivement, et le commerce mondial devrait se redresser.

Or, cette résilience de l'économie est un autre facteur qui est susceptible de ralentir le processus de normalisation de l’inflation. Les banquiers centraux pourraient donc décider d'être patients et de maintenir leur taux directeurs au niveau restrictif actuel plus longtemps que prévu. En effet, le risque d'attendre un peu plus longtemps pour assouplir la politique semble faible et nettement inférieur à celui d'agir trop tôt, et ainsi de compromettre les progrès accomplis en matière de désinflation.

Achevé de rédiger le 5 avril 2024.

 

 

(1) Source : Bloomberg, 31/03/2024.
(2) Indice des directeurs d’achat, indicateur reflétant la confiance des directeurs d’achat dans un secteur d’activité. Supérieur à 50 il exprime une expansion de l’activité, inférieur à 50, une contraction.
(3) Source : U.S. Bureau of Labor Statistics, mars 2024.
(4) source : Bloomberg, 28/03/2024.
(5) Source : S& P Global, mars 2024.
(6) Source : Bloomberg, 31/03/2024.