
Marc-Antoine Collard
Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique
Les indicateurs économiques établis à partir d’enquêtes se sont redressés après les points bas auxquels ils étaient tombés à la fin 2022. La confiance des consommateurs a commencé à s'améliorer grâce à la robustesse du marché du travail et à la baisse de l'inflation globale, soutenant ainsi le pouvoir d'achat. Les enquêtes auprès des entreprises ont quant à elles rebondi depuis le creux de novembre dernier, en particulier dans le secteur des services, ce qui s'explique en partie par l'atténuation des perturbations de l'offre liées à la pandémie. Au niveau régional, le rebond consécutif à la réouverture en Chine s'accélère, bien qu'à un rythme plus modéré que prévu, parallèlement à un rebond européen après le choc des prix de l'énergie.
Toutefois, le relèvement des perspectives économiques de la part des investisseurs est contrarié par des chiffres d'inflation tendancielle plus élevés qu’anticipé et des tensions persistantes sur les marchés du travail, obligeant ainsi les banques centrales à poursuivre leur hausse de taux. De plus, les effets négatifs du resserrement monétaire sur la croissance du crédit s'accumulent, et les tensions du secteur bancaire qui se manifestent actuellement aux États-Unis et en Europe vont probablement amplifier ces effets négatifs.
La plupart des banquiers centraux insiste sur la nécessité de maintenir des taux directeurs élevés un certain temps afin de rétablir la stabilité des prix. Ainsi, bien que les risques entourant la stabilité financière aient augmenté, il est peu probable qu'ils renoncent à leur objectif d'inflation. En effet, les banques commerciales sont globalement beaucoup mieux capitalisées qu'elles ne l'étaient en 2008 et la qualité de leurs portefeuilles de prêts, notamment hypothécaires, est meilleure. En ce sens, le risque d’une crise financière est pour l’instant limité.
Les récents événements dans le secteur financier pourraient néanmoins intensifier le resserrement du crédit, d'autant plus que les conditions d’accès aux prêts s’étaient détériorées avant même les turbulences récentes. En outre, aux États-Unis, la nécessité pour les banques de petite taille de préserver leurs liquidités face à la fuite des dépôts, l'augmentation des coûts de financement et un probable accroissement réglementaire pourraient exacerber cette tendance. Cela étant, si les marchés ont été ébranlés par les aléas bancaires, la confiance semble s’être rétablie promptement grâce aux actions rapides des décideurs politiques.
D’ailleurs, les investisseurs semblent parier que le resserrement monétaire mondial actuel, pourtant le plus prononcé et le plus rapide depuis au moins quarante ans, n'aura qu'un impact marginal sur l'activité économique. Certains d’entre eux vont même jusqu'à prévoir un scénario "sans atterrissage", estimant que la croissance mondiale ralentira à peine en 2023.
L’objectif principal d’une politique monétaire plus stricte est de réduire les pressions inflationnistes via des taux d’intérêt plus élevés qui vont ralentir la demande globale. En effet, la politique monétaire influence l'économie par plusieurs canaux. Le niveau des taux d'intérêt influence la demande de crédit, alors que le canal des prêts bancaires a un impact sur l’offre de même que sur les conditions qui y sont rattachées. Le canal de la prise de risque fonctionne à travers les changements de prix des actifs financiers et la volonté des emprunteurs, des investisseurs et des banques de prendre des risques, ce qui influence le financement basé sur les marchés de capitaux.
Toutefois, la transmission de la politique monétaire se fait avec des décalages longs et variables, et évolue dans le temps en fonction des changements cycliques et structurels de l'économie. De nombreuses études montrent qu'il faut parfois jusqu'à six trimestres, voire plus, pour qu'un resserrement de la politique monétaire ait son plein effet sur l'inflation.
Certaines recherches suggèrent que les délais ont pu se raccourcir au cours des dernières années, en partie grâce aux orientations politiques et à la crédibilité des banques centrales qui permettent aux marchés financiers de réagir à un changement de politique avant qu'il ne soit mise en œuvre. En conséquence, les conditions financières sur le marché commenceraient à changer par anticipation.
À l'inverse, deux facteurs sont susceptibles d'avoir plutôt allongé le temps nécessaire pour que la politique monétaire affecte l'économie. Premièrement, la part importante du crédit à taux fixe dans l'économie contribue à entraver la politique monétaire par son effet sur les flux de trésorerie des emprunteurs. Par exemple, dans le secteur immobilier, les paiements des emprunteurs à taux variable ont augmenté parallèlement aux relèvements des taux directeurs, alors que les emprunteurs à taux fixe sont confrontés à une hausse différée de leurs paiements, en fonction de la durée de leur prêt à taux fixe. Par conséquent, la part élevée des prêts à taux fixe ajoute un délai supplémentaire à la répercussion sur les taux hypothécaires en vigueur.
Cependant, lorsque ces prêts à taux fixe seront réinitialisés à un taux d'intérêt plus élevé, les emprunteurs devront faire face à une augmentation considérable de leurs paiements. Cette réduction des flux de trésorerie disponibles des emprunteurs pèsera sur leur budget et nécessitera un ajustement de leur comportement en matière de dépenses. Plus généralement, la hausse des taux d'intérêt rend l'épargne plus attrayante, l'investissement plus coûteux pour les entreprises et pèse sur la volonté des ménages de dépenser, ce qui, in fine, ralentira la croissance de la demande globale et freinera l'inflation, mais avec un certain décalage.
Deuxièmement, les marchés du travail sont tendus dans la plupart des pays, à l’image de la forte augmentation des postes vacants et des ratios postes vacants/chômage. La baisse des taux d’activité a réduit le nombre de travailleurs disponibles, rendant ainsi les postes vacants plus difficiles à pourvoir. Les obstacles au retour à l'emploi, l'évolution des préférences des travailleurs au détriment de certains types d'emplois et l'inadéquation des emplois aux secteurs et aux professions ont également contribué à ce phénomène. Dans ce contexte, les entreprises sont très réticentes à licencier des travailleurs car, deux ans après le début de la pandémie de COVID-19, le processus d'embauche reste difficile et coûteux. Par conséquent, le marché du travail est moins flexible, les entreprises étant plus lentes à répondre à une demande plus faible, et son ralentissement pourrait nécessiter un niveau plus élevé que prévu des taux directeurs.
Par ailleurs, les tensions sur le marché du travail, combinée à une période prolongée d'inflation élevée, ont exercé une pression à la hausse sur la croissance des salaires nominaux. Bien que le rythme des augmentations salariales ait commencé à se stabiliser, la croissance des salaires dans la plupart des pays reste élevée. S'ils se maintiennent à ces niveaux pendant un certain temps, cela ne sera pas compatible avec un retour de l'inflation vers l'objectif des banques centrales compte tenu de la faible croissance de la productivité, à moins que les marges bénéficiaires des entreprises ne se contractent.
En somme, si les délais se sont peut-être allongés, il y a peu de raisons de penser que la politique monétaire est devenue inopérante. En tant que tel, l'impact négatif du resserrement synchronisé devrait se faire sentir dans les mois à venir, ce qui ne semble avoir été intégré que par les marchés des obligations souveraines.
Achevé de rédiger le 3 avril 2023
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