
Anthony Bailly
Responsable de la gestion actions européennes
Rappelons tout d’abord que nous attendons une récession depuis deux ans… Durant cette période la classe d’actifs qui a le mieux performé est celle des actions. Il nous paraît donc difficile de justifier l’absence d’exposition sur les marchés d’actions, dans la mesure où le scénario d’un atterrissage en douceur de l’économie reste d’actualité : la baisse de l’inflation permet aux salaires réels de progresser, ce qui pourrait soutenir la consommation, notamment en Europe où le niveau d’épargne reste particulièrement élevé. Par ailleurs ce cycle de baisse de taux devrait se traduire par un rebond des indicateurs avancés dans le secteur manufacturier comme cela a été le cas par le passé, même si la durée de transmission de cette impulsion à l'économie est relativement longue (de l'ordre de six mois).
Enfin, nous identifions aujourd’hui de réelles opportunités sur certains secteurs dans des secteurs cycliques, défensifs et dans la sphère financière au sens large.
Le marché a certes déjà progressé depuis le début de l'année, et d'une façon plus générale depuis l'automne 2023, mais cette progression a été concentrée sur certaines valeurs. Les « Magnificent Seven2» aux États Unis et les Granolas3 en Europe ont en effet contribué à plus de 50 %4 de la hausse des indices depuis le début de l’année. Si on peut comprendre cette performance pour les valeurs américaines au regard des révisions à la hausse des BPA5 depuis le début de l’année (près de 50%)6, ce n’est pas le cas en Europe où les Granolas ont connu des révisions des BPA en baisse, ce qui a contribué à gonfler leurs valorisations qui nous paraissent difficilement justifiables. Le niveau de concentration sur les 10 plus grosses capitalisations est de 34 % aux États-Unis, un record historique. Il est de 22 % en Europe, niveau que l’on avait atteint seulement en 2000 et 2008 au cours des 40 dernières années7. Néanmoins, le marché européen est celui qui nous parait offrir le plus d’opportunités : Aux États-Unis, le S&P 500 est valorisé à la perfection : un P/E8 de 22x pour une croissance des BPA attendue de 15 % l’an prochain. En Europe, avec une valorisation proche de sa médiane historique à 13,6x le marché européen pour lequel la croissance attendue des BPA 2025 est de 10 % nous parait beaucoup plus attractif9
Si le marché européen se valorise à un niveau proche de son niveau médian, la valorisation par style de gestion n'en est pas moins hétérogène. En effet, la Croissance10 se valorise sur un P/E 12fwd11 de 22.3 contre 9,7x pour la Value12. Il en résulte une prime de 130 %13 qui est proche de ses niveaux historiques et qui constitue une anomalie selon nous. En effet, cette prime ne peut s'expliquer ni par le niveau des taux d'intérêt, ni par l'évolution des fondamentaux des sociétés.
S'agissant des taux d'intérêt, le marché ne semble pas avoir acté en matière de style de gestion le changement de paradigme que nous vivons depuis la crise du Covid. Si ce paradigme est triple (inflation, banques centrales, taux d'intérêt), il se nourrit de la même source, à savoir l'inflation. La décennie crise financière - Covid fut marquée en termes de style de gestion par une surperformance marquée de la Croissance, avec un marché qui s'est de plus en plus concentré, des multiples pour les valeurs de croissance qui se sont étirés, et une prime de la Croissance sur la Value qui n'a cessé d'augmenter. Post Covid, la reprise de l'inflation a amené les banques centrales à agir et les taux à augmenter vigoureusement, et cela s'est certes traduit par un renversement de tendance et une surperformance de la Value sur la Croissance : +32 % depuis la découverte d'un vaccin et la normalisation de l'économie14, +14.6 % depuis 202215 et la forte hausse des taux, mais également +2.4% depuis le début de cette année 202416 qui est l'année du Pivot de la Fed17. Cela dit, cette surperformance a été très modeste au regard de l'ampleur du changement de paradigme évoqué, et a été surtout marquée par la forte progression des fondamentaux, c’est-à-dire des BPA du style Value. Concernant la valorisation, la prime Croissance vs Value est restée sur le niveau très élevé évoqué en début de paragraphe (130%). Cette prime se situe de facto au même niveau qu'en janvier 2022, alors que le niveau des taux réels US était de -0.8 %18. Ce taux est actuellement de +1.6 %16. Cette prime doit donc encore se normaliser selon nous, avec un dégonflement et une normalisation des multiples de valorisation des valeurs de croissance notamment. C'est ce que nous commençons à voir sur certains pans de marché qui rentrent justement dans une phase de normalisation, à l'image du luxe. De l'autre côté du spectre, la normalisation des ratios doit aussi s'effectuer sur certains secteurs encore valorisés en deçà de leur dixième percentile historique. C'est le cas des banques (meilleur secteur depuis 2022 avec une progression de +71 %)16, mais qui se valorise toujours sur un PE de 7x19 correspondant quasiment à un niveau de récession, alors qu'elles évoluent désormais dans un environnement redevenu sain pour leur business model (taux plus élevés, repentification de la courbe, reprise des volumes).
Il est également difficile d'expliquer cette prime par l'évolution des fondamentaux. En effet, depuis le point bas de la crise du Covid, les BPA du style croissance ont progressé de 62 %20 contre 100 %21 pour ceux du style Value. Par ailleurs, si on se projette sur 2025, on note que les attentes restent très élevées pour le style Croissance. En effet, alors que le marché attend environ +10 % de croissance de BPA pour 2025 en Europe4 ces attentes sont de +17 % pour les biens de consommation, +33 % pour la technologie, et +14 % pour la santé4. Et ce alors même que la dynamique a été décevante pour l'année 2024 sur ces secteurs (respectivement +1 %, -2 % et +6 % pour les biens de consommation, la technologie et la santé)4. A contrario, les attentes de croissance de BPA pour les secteurs Value restent raisonnables (+4 % pour les banques, +8 % pour l'énergie, +8 % pour l'automobile)4. Autrement dit, nous avons d'une part des secteurs croissance qui affichent des multiples élevés, et pour lesquels nous avons des attentes élevées, et d'autre part des secteurs value qui se valorisent sur des multiples faibles, et pour lesquels nous avons des attentes modestes. Enfin ces dernières nous paraissent plus crédibles : en effet sur les 14 dernières saisons de publications, les entreprises Value affichent un ratio de surprise positive (par rapport au consensus) nettement supérieur à celui de la croissance22.
L'environnement actuel reste complexe et incertain. Les inquiétudes macroéconomiques sont réelles avec d'un côté une inflation qui reste résiliente, notamment dans sa composante cœur du fait des services, et d'un autre côté une hausse du chômage aux États-Unis. Le soft landing23, chemin de crête sur lequel les banques centrales essaient de cheminer depuis plusieurs trimestres, nous paraît cependant toujours envisageable. L'impulsion du cycle de baisse des taux devrait se diffuser progressivement à une économie qui certes ralentit, mais est encore loin de s'effondrer. Dans ce contexte, nous privilégions 1/ des secteurs négativement corrélés à la baisse des taux d'intérêt avec un profil plutôt défensif 2/ les financières, dont la normalisation doit toujours être actée par le marché et 3/ des secteurs cycliques dont la valorisation intègre déjà un scénario de fort ralentissement économique.
S'agissant de la corrélation avec les taux d'intérêt, le secteur immobilier a particulièrement souffert de la hausse des taux au cours des 3 dernières années, ce qui a porté sa décote à un niveau historique par rapport à la valeur de ses actifs. Cette situation a déjà commencé à s'inverser comme le montre la surperformance du secteur +9.6 %16 depuis l’annonce de la première baisse de taux de la BCE (06/06/2024). Nous en bénéficions en étant investi sur Vonovia, dont l'exposition au résidentiel allemand est par ailleurs structurellement porteuse en raison du déséquilibre offre / demande. Par ailleurs, la baisse des taux doit naturellement générer un soulagement au niveau des charges d'intérêt, ce qui sera favorable pour l'évolution des BPA des secteurs largement endettés. C'est notamment le cas des secteurs à forte intensité capitalistique comme les Telecom et les Utilities24 sur lesquels nous sommes surpondérés. Pour les Utilities, notre vue sur un marché gazier toujours tendu malgré l'ajout de nombreuses capacités à l'avenir nous conduit à une vision qui reste constructive. Enfin, certaines valeurs de qualité dans le secteur de l’alimentation/boisson affichent désormais des valorisations plus attractives à l’image de Pernod Ricard dont le P/E est passé de 22x à 17x en 18 mois16 sur fonds de crainte d’une baisse de la consommation et de l’exposition à la Chine, craintes qui nous paraissent exagérées.
Les banques restent le secteur auquel nous sommes le plus surexposé. Si le marché a en effet salué la progression des BPA et le retour de cash, il est encore loin d'avoir acté la normalisation du secteur sur le long terme, avec un ratio de valorisation qui reste toujours sur un niveau de récession. Par ailleurs, même si les taux courts sont amenés à baisser, il reste selon nous encore des marges de progression sur l'évolution du NII25 et des BPA26 : La repentification de la courbe doit leur être favorable, une partie du stock de crédits reste à revaloriser sur les niveaux de taux actuels, et la reprise des volumes commence à se dessiner.
Enfin, certains secteurs cycliques paraissent particulièrement attractifs à l'image des matières premières. Si l'on regarde les périodes de récession, les BPA baissent du point haut au point bas de 30 % en moyenne sur ce secteur. Depuis leur dernier point haut (le 12/05/2022), ces BPA ont baissé de – 56 %16. Etant donné (i) un PE de 10.5x qui reste en deçà de son niveau médian de 16x .(ii) les très faibles attentes sur une Chine qui tarde à redémarrer (iii) des indicateurs avancés au point bas sur la partie manufacturière, le moment nous semble opportun pour investir sur un secteur qui a semble-t-il déjà intégré un scénario macroéconomique adverse, et qui pourrait très fortement rebondir si le soft landing devait se matérialiser dans les prochains mois.