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Le défi climatique face aux enjeux énergétiques

Stratégie  —  24/01/2023

Ludivine de Quincerot

Responsable ESG & Analyse Financière Gestionnaire Allocation Diversifiée

Andréa Sekularac

Chargée d'affaires Investissements Durables

Au sortir de l’année 2022, l’environnement géopolitique et économique semble peu favorable au renforcement des mesures environnementales alors que, de surcroît, les tensions sociales latentes se sont encore accentuées. Le respect de l’Accord de Paris et l’atteinte de l’objectif Net Zero sont-ils toujours viables dans ce contexte, a priori, peu favorable à la cause environnementale ?

Comment en est-on arrivé là ?

L’éclatement du conflit russo-ukrainien a englué l’Europe dans une crise énergétique sans précédent, accentuée par la mise à l’arrêt de la moitié du parc nucléaire français, principale alternative aux centrales thermiques. Face à l’explosion des prix du gaz et de l’électricité et aux risques économiques et sociaux en découlant, les décideurs politiques ont assez logiquement placé les intérêts nationaux en amont de l’enjeu global, reléguant la question climatique au second plan. Cette situation a surtout mis en lumière la très forte dépendance de certains États vis-à- vis d’un nombre limité de producteurs d’énergies fossiles, mais également le manque de diversité du mix énergétique européen. Confronté à l’absence d’alternative, le recours aux substituts parfois les plus “carbonnés” a généralement été retenu pour parer à l’urgence. L’année 2022 a ainsi été marquée par le retour en force des énergies fossiles, au premier rang desquelles, le charbon dont l'utilisation devrait augmenter de 1,2%(1). Dans le même temps, la demande en gaz s’est accrue afin de reconstituer des stocks au plus bas à l’approche de l’hiver et éviter que la crise énergétique ne se mue en profonde crise sociale.

L’Accord de Paris est-il caduc ?

La crise énergétique illustre particulièrement la problématique de la temporalité et l’opposition entre intérêts de court et de long terme. Cette même question se pose continuellement aux acteurs du secteur financier. Si la situation actuelle a favorisé le court terme, les engagements préexistants, que ce soit le calendrier de sortie du charbon ou la trajectoire de baisse des émissions et des investissements n’ont été ni revus, ni supprimés. Au contraire, ils ont parfois même été renforcés. De surcroît, une crise contraint à innover et peut accélérer les prises de décisions. Ainsi, aux États-Unis, la crise pétrolière de 1970 avait poussé les politiques à chercher des sources d’approvisionnement alternatives visant à assurer leur indépendance énergétique.

Par ailleurs, selon l’IEA(2), les énergies renouvelables sont actuellement les plus rentables. Bien qu’encore très limitées, elles font office d’amortisseur dans un contexte énergétique tendu. Selon l'agence, compte tenu des prix actuellement élevés du gaz et de l'électricité et grâce aux investissements en cours, la capacité de production renouvelable pourrait devenir la première source de production d'électricité avant 2030.

D’ici là, la situation énergétique devrait rester fragile, les tensions contribuant à allonger le processus de transition, sans pour autant remettre en cause l'objectif initial.

Des ambitions fortes au niveau international

En Europe, le nouveau programme RePowerEU, estimé à 210 milliards d’euros, vise 45% d’approvisionnement ENR(3) d’ici 2030, mais également 13% d’économies d’énergie (contre 9% actuellement) et a dernièrement été renforcé par un dispositif de taxe carbone aux frontières de l’Union. Aux États-Unis, l’inflation Reduction Act of 2022 voté en juin dernier (près de 400 milliards de dollars sur 10 ans) entend supporter l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 50% à 52% d'ici à 2030 par rapport à 2005 et porte, pour l’essentiel, sur des crédits d’impôt visant à favoriser la production d’énergie renouvelable “made in USA”. Cette volonté affichée de s’émanciper de la Chine au travers de mesures ultra-protectionnistes constitue néanmoins une source de tensions pour ses partenaires européens qui deviennent, encore une fois, dommage collatéral d’une guerre commerciale qui perdure en dépit de la fin du mandat de Donald Trump. En Chine, justement, le Parti envisage une réduction de l’intensité carbone de plus de 65% par rapport à 2005 et une augmentation de la part des énergies non fossile à hauteur de 25% de la consommation d'énergie (contre 15,3 % fins de 2019). Si la question de la temporalité se pose, ces annonces révèlent clairement l’ambition d’un État qui souhaite se positionner en leader des énergies renouvelables et sait généralement se donner les moyens d’atteindre ses objectifs.

La transition énergétique face aux enjeux économiques et sociaux

En dépit de la volonté affichée par les États, la situation actuelle démontre qu’un revirement brutal de stratégie énergétique n’est pas viable. Ce processus implique notamment de prendre en considération les impacts sociaux (reconversion professionnelle, mesures de soutien et d’accompagnement, formation…) ou les conséquences pour les territoires (délocalisation, surconcentration…). Pour être soutenable le nouveau modèle ne doit pas recréer ou d’accroître les déséquilibres inhérents aux précédents. En outre, la nécessité de diversifier le mix énergétique européen, notamment via des politiques publiques encourageantes, est un sujet de longue date mais la désorganisation dans sa mise oeuvre risque d’avoir un impact conséquent sur la stabilité des prix et, in fine, sur les populations. En effet, selon les modélisations de la BCE, en Europe, une transition ordonnée engendrera une hausse des prix de l’énergie de l’ordre de 3,5% par an, par rapport à un scénario de base. Ce scénario conduirait à une inflation de 0,10% en moyenne annuelle et a un impact légèrement négatif, à court terme, sur le PIB de la Zone euro. En revanche, une transition climatique désordonnée s’accompagnerait d’une hausse des prix de l’énergie de 13,5% par an en moyenne et serait inflationniste (+0,5% en moyenne annuelle par rapport au scénario standard) et négative en termes de croissance à court et moyen terme(4). Par ailleurs, ces scenarii se confrontent désormais à la crise actuelle qui tend à accroître les effets inflationnistes de la composante énergétique.

Le Net Zero, une utopie ?

Plus de 80% de l’économie mondiale est actuellement engagé dans l’atteinte de l’objectif Net Zero(5). Si le rythme pose question, la dynamique n’en est pas moins amorcée. La crédibilité de ces engagements passera toutefois par la définition d’objectifs à différentes échéances et de plans de transition organisés avec des moyens clairement identifiés. Parvenir à une standardisation des engagements (intégrés dans la stratégie de l’entreprise, l’allocation de capital avec un suivi du budget CO2) s’avère essentiel, de même que la prise en considération du scope 3(6), malgré la complexité inhérente à cette donnée.

Aussi, la création d’une autorité de contrôle pour encourager la transparence et limiter l’écoblanchiment contribuera nécessairement à l’émergence de “best practices” et de standard de marché. La réglementation oeuvre en ce sens et investisseurs et entreprises sont globalement favorables à la mise en oeuvre d’initiatives telles que la taxonomie, qui offrent cadre légal et unifié. Par ailleurs, au-delà des énergies fossiles et de leurs alternatives (hydrogène, fusion nucléaire…), les questions de l’efficience énergétique et de l’innovation technologique seront cruciales dans les années à venir. En dehors des seuls énergéticiens, les secteurs particulièrement émetteurs (industrie, services aux collectivités, matières premières, chimie…) auront donc un rôle fondamental à jouer en faveur de la transition.

Un contexte inflationniste préjudiciable à la transition ?

Déjà alimentée par la crise sanitaire mondiale, l’inflation a bondi dans de nombreuses régions du globe, sous l’effet conjugué de la crise énergétique et des pénuries de matières premières. Face à cette situation, les principales banques centrales ont amorcé un mouvement de hausse de taux non observé depuis plus de 10 ans. Dans un contexte où le coût de la dette augmente, est-il dès lors réaliste d’espérer que les entreprises engagent des plans d’investissement en faveur de la transition ? La nouvelle donne obligataire ne remet pas nécessairement en cause leur capacité à investir. L’environnement de taux très favorable au sein duquel nous avons évolué au cours de la dernière décennie a permis à la plupart d’entre elles, notamment les énergéticiens, d’afficher des bilans financiers sains. Par ailleurs, la plupart des évolutions réglementaires ont pour effet de favoriser l’investissement dans des solutions durables. Du point de vue financier, on constate également que les critères de durabilité influent sur les primes de risque en raison des garanties supplémentaires qu’ils offrent aux investisseurs. La transparence et la lisibilité des investissements seront donc la clé pour entreprises désireuses de financer leur transition et que cela contribue à renforcer leur valorisation. Le rôle reviendra à l’investisseur de sélectionner les acteurs engagés et les mieux positionnés pour bénéficier de ce potentiel de d’appréciation.

Notre approche de transition dans ce contexte

Le contexte actuel renforce notre conviction dans notre approche de transition et nos stratégies Net Zero. Malgré l’urgence et la volonté des plus hautes instances politiques, il est impossible de transformer instantanément certains secteurs en profondeur, notamment lorsqu’ils sont liés à des industries lourdes ou font figure d’importants pourvoyeurs d’emplois. Ces évolutions nécessitent de l’anticipation et des investissements à la hauteur des ambitions. Investir dans ces secteurs, notamment les principaux contributeurs aux émissions de gaz à effet de serre, ne s’oppose pas à une logique de transition, dès lors que des engagements sont pris en contrepartie. Une gestion active, à travers une sélection de titres attentive, prend alors tout son sens. Connaître les entreprises et être capable d’estimer la crédibilité de leurs objectifs, s’appuyer sur des prestataires reconnus et suivre sur le long terme la mise en application des plans de transition sont des dimensions essentielles de notre approche. Par ailleurs, il est peu probable que ce processus suive une trajectoire linéaire. Des zones de turbulences, à l’image de la crise actuelle, continueront d’émerger.

Ces périodes de tensions permettent d’identifier les acteurs capables de garder le cap d’un changement structurel même au coeur d’une conjoncture turbulente. Nous nous inscrivons pleinement dans cette volonté, quel que soit l’environnement en place, et ferons évoluer notre positionnement en vue d’accompagner les grandes transformations sectorielles en cours et à venir.

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(1) IEA, Coal 2022 – Analysis and forecast to 2025, décembre 2022.
(2) International Energy Agency : Agence internationale de l'énergie.
(3) Énergies renouvelables.
(4) Source : BCE, 2020.
(5) University of Oxford, novembre 2021.
(6) Émissions de carbone indirectes liées aux différentes étapes du cycle de vie d’un produit.