Anthony Bailly
Gestionnaire, Actions Européennes
Ludivine de Quincerot : L’approche de transition est au cœur de la stratégie du fonds depuis sa création. C’était un positionnement plutôt contrariant à son lancement en 2019. À cette époque, lorsque l’on parlait d’investissement durable, le débat avait l’air simple et se résumait souvent à investir dans des thématiques comme les sociétés développant des solutions en lien avec la transition ou les énergies renouvelables qui semblaient porteuses de croissance structurelle au regard des besoins en investissements nécessaires qui, par conséquent, seraient forcément rentables. La logique financière a repris ses droits et les hausses cumulées de l’inflation et des taux d’intérêt qui s’en est suivi ont fortement impacté ces secteurs et engendré des performances boursières très décevantes. Nous n’étions pas exposés à ces acteurs dont les niveaux de valorisation nous semblaient excessifs au regard de leurs fondamentaux. La forte représentation de ces valeurs au sein des portefeuilles ESG constituait, en outre, un risque supplémentaire.
Anthony Bailly : La particularité de notre approche porte sur le fait que nous nous laissons la possibilité d’investir dans tous les secteurs[2], y compris les plus émetteurs. Au niveau mondial, cinq secteurs (chimie, matières premières, services aux collectivités, construction, énergie) sont responsables de 86 % des émissions de CO2[3]. Nous sommes persuadés d’obtenir un impact environnemental plus significatif en accompagnant ces derniers dans leur transition, plutôt qu’en favorisant l’exclusion, du moment où nous sélectionnons des acteurs présentant les trajectoires de décarbonation les plus crédibles et ambitieuses. La possibilité d’investir dans tous les secteurs a également l’avantage d’éviter les biais de style et nous donne la flexibilité nécessaire pour naviguer dans le cycle économique.
L.d.Q. : Les plans massifs d'aides publiques des deux côtés de l'Atlantique (IRA aux États-Unis et le EU Green Deal) permettent d'accélérer un mouvement plus profond déjà initié par les grands groupes et les sociétés innovantes via la transformation de leurs business models. Les subventions accordées ont particulièrement bénéficié à certains secteurs comme les services aux collectivités, en accélérant notamment l’évolution du mix énergétique.
A.B. : Ainsi, il existe différentes manières de se positionner sur la chaîne de valeur et de bénéficier de ces mesures incitatives. Plusieurs secteurs et sociétés au sein du portefeuille, comme Alstom, sont ainsi censés en profiter, entre autre, parce que la place du transport ferroviaire va devenir de plus en plus importante dans les années à venir. Il existe aussi des exemples dans le secteur de l'énergie avec Vallourec ou Technip Energies qui vont pouvoir bénéficier de la transition et des subventions grâce aux méthodes de captation, séquestration et stockage du carbone développées par le premier ou la transformation de ses sites de production pour le second. Dans les scenarios d’alignement sur l’Accord de Paris annoncés par les gouvernements, ces techniques représenteraient 15 % de la réduction des émissions de CO2[4]. C’est donc un enjeu très stratégique. On peut encore citer Siemens Energy qui profite du développement des parcs éoliens ou Saint-Gobain dans la rénovation du parc immobilier.
Une stratégie qui s’appuie sur des prestataires de référence
MSCI ESG Research analyse de plus de 8 500 émetteurs et 680 000 instruments d’actions et d’obligations ainsi que 53 000 fonds et ETFs. Les meilleurs et les pires acteurs par secteur sont notés entre AAA et CCC.
SBTi, groupe d’experts scientifiques dont le but est de définir, promouvoir et valider les meilleures pratiques en matière de réduction des émissions carbone et d'objectifs "Net Zero" avec une prise en compte du scope 3.
Carbon4 Finance pour collecter les données carbone des entreprises en considérant l'ensemble des scopes d'émissions 1, 2 & 3 dans l'analyse climat passée, présente et future des émetteurs.
A. B. : R-co 4Change Net Zero Equity Euro est un fonds article 9 SFDR[5], labélisé ISR[6] et d’ores et déjà aligné avec la dernière mouture du label. Nous avons définis trois leviers d’impact pour piloter nos investissements et monitorer l’atteinte de nos objectifs environnementaux : l’intensité carbone du portefeuille doit être à tout moment 20 % inférieure à celle de notre indice de référence[7], nous devons obtenir une baisse de l’intensité carbone du portefeuille d’au moins 7 % par an en moyenne et, enfin, 90 % des sociétés en portefeuille devront avoir fait valider leur trajectoire d’alignement sur l’Accord de Paris par la SBTi à horizon 2030.
L.d.Q. : Quatre ans après le lancement cette stratégie, nous pouvons démontrer que nous sommes allés au-delà de nos engagements : 71 % de sociétés validées par SBTi (vs. 21 % en 2019), une intensité carbone qui a diminué de plus de 7 % par an et qui est à présent 39 % inférieure à celle de son indice de référence[8]. Ces résultats ont été obtenus alors même que nous avons augmenté le poids cumulé des secteurs émetteurs dans le portefeuille qui est actuellement de 25 % contre 19 %[8] lors du lancement du fond. Le secteur des services aux collectivités représente le principal contributeur à cette baisse avec, en premier lieu, EDP qui est ainsi passée de plus de 1 300 tCO2/M€ de chiffre d’affaires en 2019 à 280[9] cette année. Sur l’ensemble du portefeuille, les émissions absolues ont baissé de 30 % depuis le lancement8. Fidèles à notre philosophie, l’intensité carbone du portefeuille ayant baissé plus vite qu’anticipé, nous continuons à sélectionner de nouvelles sociétés au sein des secteurs émetteurs pour les accompagner dans leur transition.
L.d.Q. : Nous avons créé une grille d'analyse de transition qui permet d'évaluer de manière homogène la dynamique de transition des sociétés avec trois objectifs. Le premier est d’évaluer le potentiel de transition, les mesures mises en place, la crédibilité des objectifs et leur pertinence. Le second, d’établir un dialogue constructif avec les émetteurs grâce à des analyses qualitatives et quantitatives approfondies. Le troisième vise à répondre aux exigences des labels, de la réglementation et de nos clients qui nous demandent des preuves de plus en plus concrètes de l'état d'avancée des plans de transition des sociétés. Cette grille s’articule autour de six piliers et constitue un outil d'analyse et d'engagement qui permet de suivre dans le temps les progrès des sociétés .
A.B. : Nos analyses qualitatives et quantitatives sont actualisées au moins annuellement, mais peuvent également faire l’objet de mise à jour opportune, notamment suite à un échange avec le management d’une société. Nous appliquons cette grille à toutes les entreprises en portefeuille avec une attention particulière portée aux secteurs les plus émetteurs. Si un certain nombre d’acteurs de notre industrie profite de l’engouement autour de la transition pour se positionner sur ce thème, apprécier cette thématique s’avère néanmoins particulièrement exigeant. Nous approfondissons et renforçons notre expertise depuis 2019, notamment via les groupes de travail et les consultations du régulateur. Notre grille d’analyse de transition s’inscrit en grande partie dans l’esprit des travaux menés.
Les six piliers de notre grille de transition ·
L.d.Q : Nous votons sur 100 % de nos positions en actions[10] et nous participons à des initiatives de Place, que ce soit des coalitions ou des groupes de travail. Notre grille d’analyse de transition se nourrit du résultat de ces travaux. Enfin, nous avons un dialogue régulier et constructif avec les sociétés que nous connaissons en profondeur du fait de la concentration de nos portefeuilles. Dans ce cadre, la grille d’analyse constitue un outil d’échange et pour étayer notre engagement avec les sociétés. Beaucoup d’entre elles souhaitent échanger à ce sujet, comprendre notre évaluation et essayer de s’améliorer sur les points que nous avons identifiés.
A.B. : Concrètement, depuis 2021 nous avons rencontré les deux tiers des sociétés en portefeuille et dans près de 40 % des cas[7], les questions que nous avons posées se sont accompagnées d’une demande d’action de la part de l’entreprise. Nous avons, par exemple, été amenés à échanger avec Alstom sur le calcul des émissions de CO2 évitées (dites de « Scope 4 »). Nous avons menés treize dialogues individuels avec la société entre 2021 et 2023 et nous espérons une publication de ces données sur l’exercice 2025. D’autres questions portant sur des thématiques environnementales ont pu également être abordées, notamment au sujet des opportunités liées au développement du train à hydrogène (niveaux de commande actuels et investissements futurs…). Autre cas, Vallourec a décidé d’ajouter deux nouveaux objectifs à ceux déjà validés en 2020 par SBTI. Nous avons échangé à ce sujet avec la direction du développement durable dans l’attente de la décision de SBTi. Dernier exemple concernant Carrefour : depuis 2021, nous évoquions la publication après audit indépendant de ses émissions de gaz à effet de serre de Scope 3. Ce point a finalement été inscrit à l’ordre du jour de l’assemblée générale des actionnaires 2023 et a été adopté.
Un fonds de partage au profit de l’expédition scientifique Polar POD
R-co 4Change Net Zero Equity Euro est fonds de partage. Un partenariat a été établi avec l’association Océan Polaire, association de loi 1901 créée en 1991 et reconnue d’intérêt général, dont l’objet est l’organisation d’expéditions et de missions à caractère éducatif et scientifique dans les régions polaires. Pour l’ensemble des parts du FCP, 0,15 % des frais de gestion seront reversés à l’association Océan Polaire afin de contribuer au financement de l’expédition Polar POD.
AB : Au cours des trois dernières années, dans des configurations de marchés très différentes, la performance financière de R-co 4Change Net Zero Equity Euro lui a permis de se distinguer au sein de l’univers des fonds climat, démontrant ainsi sa capacité à ne pas être captif des rotations sectorielles. Ainsi, jusqu’à récemment, nous avions évité d’investir dans les sociétés spécialisées dans la production d’énergie renouvelable pour des questions de valorisation. Toutefois, nous avons intégré Siemens Energy, premier producteur d’éolienne en Allemagne, dans le portefeuille en début d'année et réfléchissons à d’autres investissements dans ce secteur, les niveaux de valorisation nous semblant désormais beaucoup plus attractifs.
L.d.Q. : Compte tenu de la forte baisse de l’intensité carbone du portefeuille, nous sommes toujours à la recherche d’acteurs en transition à la fois dans les secteurs fortement émetteurs comme les services aux collectivités ou l’immobilier, mais aussi dans d’autres comme l’automobile où les émissions de scope 3 sont très significatives et les enjeux de transformation des business models particulièrement stratégiques.
Le Net Zero en bref
En 2015, la COP21 entérine l’Accord de Paris avec pour objectif de limiter le réchauffement climatique à un niveau inférieur à 2°C d’ici 2100 par rapport au niveau préindustrielle, en poursuivant les efforts pour la limiter à 1,5°C. Ce plan ambitieux intègre différentes dispositions dont l’objectif “Net Zero” qui induit la baisse continue des émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans le but d’approcher un zéro théorique. La première étape consiste à atteindre le plafonnement des émissions, puis à les réduire autant que possible jusqu’en 2050, pour ensuite compenser les émissions résiduelles grâce à différents mécanismes, qu’ils soient naturels ou technologiques.