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Eco-Note : La soutenabilité de la dette en question

Stratégie  —  16/11/2023

Marc-Antoine Collard

Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique

L’endettement des économies avancées a atteint un point historique en 2020. En effet, le choc de la grande crise financière, cumulé à celui de la pandémie, a fait bondir le ratio de la dette par rapport au PIB. Nous dirigeons-nous vers une crise des dettes souveraines ?

Un cadre théorique

La notion de soutenabilité de la dette publique est plutôt subjective. Néanmoins, au sens large, une dette est considérée comme soutenable lorsque l’État a la capacité d’honorer ses obligations présentes et futures en menant des politiques économiquement faisables et politiquement réalistes.

Afin de poser un cadre théorique, la dynamique de la dette peut être représentée par l’équation suivante :

où Dt est le ratio de la dette publique exprimée en pourcentage du PIB.

Dès lors, la trajectoire de la dette dépend principalement de trois éléments. Tout d’abord, du taux d’intérêt réel « r » qui est lié positivement à la dette, des taux élevés alourdissant la charge de la dette. Deuxièmement, la dette dépend négativement de la croissance réelle « g », puisqu’une activité économique robuste s’accompagne généralement de plus de revenus pour l’État, se traduisant par une évolution favorable des comptes publics. Enfin, la dynamique de la dette dépend positivement du solde du déficit primaire (pbt), car les dépenses excédentaires par rapport aux recettes viennent alimenter la dette. 

Ainsi, une dette sera d’autant plus soutenable que les taux d’intérêt sont faibles par rapport à la croissance économique (r<g) et que le déficit primaire est limité.

Jusqu’à tout récemment, l’accumulation de la dette publique présentait peu de risques au regard du contexte économique. En effet, alors que l’inflation restait très faible lors de la période post crise financière, les banques centrales ont appliqué une politique monétaire accommodante en achetant massivement des obligations souveraines (Quantitative Easing) et en maintenant des taux directeurs bas, voire négatifs pour certaines. Par conséquent, la faiblesse des taux d’intérêt a grandement facilité le financement des déficits.

Or, la pandémie a modifié profondément le paysage macroéconomique, ramenant sur le devant de la scène les risques liés à la soutenabilité des dettes publiques.

En effet, les banques centrales se retrouvent contraintes par l’inflation qui a atteint des points hauts en 40 ans. Le cycle de resserrement monétaire découlant de cette hausse de prix a entraîné une augmentation des taux souverains, rendant alors plus coûteux l’endettement des États. De plus, au vu des tensions persistantes sur l’inflation sous-jacente, les banques centrales pourraient devoir garder des taux plus élevés plus longtemps, maintenant ainsi une pression à la hausse sur le facteur « r ».

L’impact ambigu de l’inflation sur les finances publiques

Alors que le ratio dette/PIB diminue depuis le retour de l’inflation en 2021, certains investisseurs y voient une solution-miracle au problème d’endettement.

À court terme, les effets de l’inflation permettent généralement un allègement du ratio d’endettement. En effet, lorsque les prix montent, le PIB nominal (dénominateur) bondit, faisant mécaniquement diminuer le ratio dette/PIB. De plus, les revenus de l’État augmentent parallèlement aux prix, via notamment la hausse des recettes sur la TVA, permettant ainsi un allègement du déficit.

En revanche, à plus long terme, l’indexation de certains biens et services publics (salaires, pensions…) augmente les dépenses primaires du gouvernement, ce qui nourrit le déficit. De plus, des mesures de soutien sont généralement mises en place pour compenser les effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises, causant les mêmes effets.

En outre, la structure de la dette doit être prise en compte. Si celle-ci est composée d’obligations courtes arrivant à maturité, alors elles devront être renouvelées au taux d’intérêt courant plus élevé, pesant sur la charge de la dette. De même, si la dette inclut des obligations indexées sur l’inflation, alors le coût de la dette progressera rapidement.

En somme, si l’impact de l’inflation permet, à court terme, d’alléger le ratio de la dette, cet effet n’est que provisoire et ne constitue pas une solution pérenne au problème de l’endettement.

Des évolutions inquiétantes de « g »…

Les projections futures en matière de croissance (g) et de taux d’intérêt (r), sont plutôt inquiétantes au regard de la soutenabilité de la dette publique.

En effet, la croissance potentielle(1) s’essouffle depuis le début du siècle et cette tendance pourrait se poursuivre à horizon 2030(2). Ceci peut s’expliquer par deux raisons : le vieillissement de la population et de moindre gains de productivité.

S’il n’y a pas de consensus sur ce dernier point, la baisse de la productivité peut néanmoins s’expliquer par plusieurs facteurs. On peut citer la faiblesse de l’intensité capitalistique, liée à la faiblesse de la demande et de la part de l’investissement public dans le PIB. De même, des changements structurels ont fait diminuer les gains de réaffectation en raison du rôle accru de l'emploi dans certains secteurs de services, où la productivité a tendance à être plus faible que dans le secteur industriel.

Par ailleurs, au-delà de facteurs structurels, la notion même de croissance est devenue source de clivage dans un environnement politique marqué par une polarisation croissante. Accusée de promouvoir une économie toujours plus carbonée, la croissance se retrouve mise en cause par les partisans de la sobriété énergétique, voire de la décroissance, qui prônent la réduction des consommations d’énergie et la transition vers des modes de production plus verts. L’articulation entre objectif de croissance soutenu et adoption de politiques de sobriété énergétique sera ainsi déterminante quant à l’évolution du facteur (g).

…et de « r »

Un autre élément susceptible de peser sur la trajectoire de la dette publique concerne les taux d’intérêt.

Avant la pandémie, la hausse de la dette publique semblait indolore car elle était financée à faible coût. Le contexte économique a toutefois changé, et l’augmentation des taux d’intérêt, en lien avec l’inflation, pèse sur le service de la dette. Se pose alors la question : les taux d’intérêt resteront-ils élevés longtemps ?

Le niveau des taux d’intérêt dépend en partie du niveau d’inflation, et plusieurs éléments laissent à penser que les prix à la consommation seront plus volatils que lors de la période post-crise financière, notamment en raison de la transition énergétique.

Premièrement, cette dernière devrait se traduire par une hausse des prix des matières premières, ce qu’on appelle la greenflation. Par exemple, cette transition nécessite une quantité considérable de minéraux et métaux tels que le cuivre, le lithium et le cobalt, ce qui entraînera des pressions sur les prix.

Deuxièmement, il est admis que le réchauffement climatique devrait causer une multiplication des catastrophes naturelles – dont les sécheresses – ce qui affectera les prix alimentaires. On parle alors de climateflation.

Enfin, la montée en puissance des politiques climatiques renchérit le prix des énergies fossiles en désincitant les investissements dans ces énergies, ce qui contraint l’offre alors que la demande risque de demeurer élevée encore un temps. Il s’agit de la fossilflation.

L’ensemble de ces éléments laisse donc à penser que l’inflation risque d’être plus volatile qu’auparavant. Par conséquent, les investisseurs pourraient demander une prime de risque plus élevée afin de compenser cette incertitude autour des prix, ce qui devrait se traduire, toutes choses égales par ailleurs, par des taux souverains supérieurs au niveau post-crise financière des années 2010.

… mais certains éléments rassurants

Néanmoins, certains éléments sont de nature à rassurer. La maturité moyenne de la dette a constamment augmentée depuis la fin des années 1990, atteignant plus de 9 ans aujourd’hui(3). De plus, la faiblesse de la croissance potentielle pourrait inciter les banques centrales à maintenir des taux d’intérêt bas afin de stimuler la croissance(4).

Un autre élément rassurant est l’amélioration progressive de la position extérieure nette de la plupart des économies avancées. Il s’agit de la différence entre les stocks d’actifs à l’étranger d’un pays et les stocks d’actifs domestiques détenus par les étrangers. Si la position extérieure nette d’un pays est positive, c’est-à-dire, qu’il détient plus d’actifs à l’étranger que de passifs, alors il est considéré comme étant plus solvable et capable de faire face à d’éventuels chocs économiques. Par exemple, le Japon possède certes une dette publiques dépassant les 200 % du PIB, mais sa position extérieure élevée rend le pays moins vulnérable aux chocs externes. Nous reviendrons d’ailleurs sur ce sujet dans un prochain numéro.

Vers une crise de la dette ?

À court terme, les risques entourant l’endettement public apparaissent limités alors que les États disposent de plus de temps pour renouveler leur stock de dette grâce à l’allongement de la maturité. En revanche, la baisse du potentiel de croissance et la possibilité d’une inflation plus volatile représentent des risques significatifs. De plus, la transition climatique, l’effet du vieillissement démographique sur les dépenses de santé et de retraite, ainsi que les augmentations prévues des dépenses de défense, sont d’autres facteurs qui accentuent les tensions sur les dépenses futures. Les attentes du public à l’égard d’une intervention budgétaire destinée à atténuer les chocs économiques se sont, en outre, accrues depuis la pandémie et la crise énergétique. En l’absence d’ajustement des dépenses ou d’une augmentation de la fiscalité, tous ces facteurs se traduiraient par une hausse considérable du ratio dette publique/PIB à l’avenir(3).

La soutenabilité de la dette semble donc constituer un enjeu qui pourrait rapidement prendre le devant de la scène.

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(1) Le PIB potentielle se définit comme étant la production maximale réalisable sans créer de pressions sur les prix.
(2) Kose, M. Ayhan, and Ohnsorge, Franziska, “Falling Long-Term Growth Prospects: Trends, Expectations, and Policies”, Banque Mondiale, 2023
(3) OCDE, “OECD Sovereign Borrowing Outlook 2023”, 2023
(4) FMI, “Perspectives de l’économie mondiale : Une reprise cahoteuse », 2023