
Marc-Antoine Collard
Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique
Les bouleversements climatiques et les politiques de transition auront un impact significatif sur l’activité économique. En effet, ils pourraient s’accompagner d’une perturbation de la stabilité financière, d’une croissance économique plus faible, d’une inflation plus volatile, et de chocs multiples et majoritairement baissiers sur le PIB potentiel.
Ainsi, au vu de leur mandat, les banques centrales doivent se préoccuper du changement climatique en raison des effets potentiels sur l’élaboration de la politique monétaire.
Or, plusieurs éléments façonnent l’attitude des banques centrales de part et d’autre de l’Atlantique.
D’abord, les mandats de la Fed et de la BCE présentent des spécificités légales qui influenceront leurs actions. Bien que l’objectif principal de la BCE soit la stabilité des prix, une lecture fine des traités européens montre qu’elle doit également soutenir l’orientation générale des politiques économiques de l’Union européenne, qui englobe ses objectifs environnementaux(1). Cela permet donc à la BCE de prendre en considération des critères environnementaux dans la conduite de sa politique monétaire.
En revanche, pour la Fed, son double mandat est clair et précis : la stabilité des prix et le plein emploi, ce qui exclut donc la lutte contre le changement climatique comme objectif explicit(2). Ces différences légales se sont, jusqu’à présent, traduites par une attitude plus proactive de la BCE dans l’étude des risques climatiques(3).
Ensuite, malgré une indépendance acquise depuis plusieurs décennies, l’attitude des banques centrales est néanmoins influencée par le contexte politique dans lequel chacune évolue.
Les controverses autour de sujets climatiques représentent ainsi une contrainte implicite. Aux États-Unis, le changement climatique reste un sujet de polarisation extrême entre démocrates et républicains, et plus globalement le pays est parmi les moins soucieux des risques environnementaux. Il n’est donc pas étonnant que cela incite la Fed à faire abstraction le plus possible de ce sujet dans la conduite de sa politique monétaire afin d’éviter d’être prise à partie. À l’inverse, le sujet du réchauffement climatique est beaucoup moins clivant dans l’opinion publique européenne(4).
En somme, malgré des risques avérés, la Fed s’avère plus réticente que la BCE à prendre des mesures ouvertement orientées en faveur de la lutte contre le changement climatique pour préserver sa crédibilité et son indépendance en se protégeant des controverses politiques.
Les banques centrales peuvent avoir recours à trois types de levier d’action.
Premièrement, les mesures de supervision du risque climatique se focalisent sur la compréhension du risque et sa gestion. Le principal exemple de ce type de mesure est le stress test climatique. En tant que superviseur de la robustesse du système financier, les banques centrales tentent de mesurer la capacité de résistance des banques à des scénarios de transition et des risques climatiques. L’objectif est de renforcer les capacités des banques à collecter des données et à analyser ces risques, et les inciter à prendre des mesures correctives(5).
En second lieu, les banques centrales peuvent prendre des mesures considérées comme étant plus proactives, nécessitant l’orientation d’outils de politiques monétaires existants vers un objectif de lutte contre le changement climatique. Le choix de la BCE de procéder à un verdissement progressif de son portefeuille d’obligations d’entreprise en est un exemple(6). En revanche, le resserrement monétaire débuté depuis 2022 s’est accompagné de la fin du programme d’achats d’actifs. Par conséquent, la BCE n’a plus de réel moyen pour verdir son portefeuille. Cette solution n’a donc été que de circonstances et ne peut pas être considérée comme un levier d’action pérenne dans la lutte contre le changement climatique.
Enfin, une piste d’action alternative serait de privilégier des réformes pour les banques centrales impliquant une modification du champ d’intervention actuel de la politique monétaire. Ceci pourrait se traduire par une politique d’allocation de crédit ciblé avec objectif de verdissement de l’économie. Pour l’heure, aucune banque centrale n’a adopté cette voie, et nous reviendrons plus en détail sur ce point dans un prochain numéro.
Si les banques centrales disposent de leviers d’action pour lutter contre le changement climatique, l’impact réel de ces mesures est néanmoins à nuancer. En effet, les politiques de resserrement monétaire mise en place depuis 2022 font émerger une problématique de taille, celui du paradoxe entre stabilité des prix sur le court-terme par rapport au long-terme.
Dans un contexte d’élévation générale des prix, les banques centrales sont guidées par un impératif de réduction de l’inflation et procèdent, par conséquent, à l’augmentation de leurs taux directeurs.
Or, au regard des besoins en investissements verts colossaux sur le long terme(7), des taux d’intérêts plus élevés entravent le lancement de certains projets et retardent donc la transition écologique. Paradoxalement, en luttant contre l’inflation sur le court-terme, les banques centrales favorisent donc une volatilité plus élevée de l’inflation sur long terme en raison notamment de la « climateflation », « fossilflation » et « greenflation(8) » . Elles se retrouvent ainsi face à un véritable problème de temporalité dans la conduite de leur politique monétaire.