
Marc-Antoine Collard
Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique
Afin d’éviter une grave crise climatique, le monde doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Si l’innovation est essentielle pour atteindre les objectifs ambitieux de réduction, un changement des habitudes est également nécessaire, et la taxe carbone pourrait bien s’imposer comme l'un des moyens les plus efficaces de s'attaquer au réchauffement de la planète.
Le réchauffement climatique lègue un coût énorme aux générations futures qui en subiront les conséquences. Or, ce coût est rarement intégré aux prix des biens et des services. En effet, les entreprises et les ménages qui génèrent des émissions de GES, en produisant de l'électricité ou en se déplaçant en voiture, ne paient pas réellement pour les dégâts engendrés par cette pollution. Pour remédier à cette défaillance de marché, les gouvernements sont amenés à internaliser les coûts des préjudices environnementaux futurs en fixant un prix sur ce qui en est la source, à savoir les émissions de GES. En 2021, 35 programmes de taxe carbone ont ainsi été introduits dans un certain nombre de pays, de régions et de collectivités locales(1).
Avec la taxe carbone, le gouvernement fixe un prix que les émetteurs doivent payer pour chaque tonne de GES émise. Par exemple, le prix d’un billet d'avion à 300€ ne tient pas compte du coût pour la société induit par la pollution. Imposer une taxe carbone permettrait par exemple de le porter à 370€, sous l’hypothèse où le coût externe social de ce vol est estimé à 70€. Le nouveau prix intégrant l'impact négatif sur l'environnement découragerait ainsi certains de prendre l'avion, ce qui entraînerait mécaniquement une réduction des voyages aériens et donc de la pollution, favorisant un niveau de consommation socialement plus responsable.
Source : Rothschild & Co Asset Management Europe, septembre 2022.
Par conséquent, la fixation d'un prix pour les émissions de CO2 sous la forme d'un droit ou d'une taxe peut se révéler efficace pour lutter contre les émissions de GES et la pollution, les entreprises et les consommateurs modifiant leur comportement pour éviter de devoir la payer(2). En outre, la taxation des émissions de GES encouragerait les investissements dans les énergies renouvelables et favoriserait le progrès technologique, les entreprises et les industries multipliant leurs efforts pour rendre leurs processus de production plus respectueux de l'environnement.
La taxe carbone peut également être un moyen pour l’État d’engranger des recettes pouvant être, par la suite, consacrées au développement de projets environnementaux ainsi qu’au financement d’investissements dans des solutions alternatives, tel que le financement du transport en commun.
Bien que le mécanisme du prix du carbone soit susceptible de continuer grandement à résoudre le problème du réchauffement climatique, estimer le coût environnemental des émissions de carbone reste une tâche ardue, dépendante des hypothèses scientifiques et économiques retenues, et peut, en conséquence, varier considérablement d'une recherche à l'autre(3).
En effet, une considération cruciale dans le calcul de ce coût est que la pollution par le carbone se dissipe très lentement, ce qui signifie que la pollution actuelle créera des risques climatiques pour de nombreuses générations à venir. Une deuxième difficulté est le risque extrême, à savoir la possibilité de futurs dommages climatiques catastrophiques, sans compter que les causes et les conséquences du changement climatique ont une portée mondiale.
Source : Congressional Budget Office, Rothschild & Co Asset Mangement Europe, septembre 2022.
En outre, plusieurs raisons expliquent pourquoi certains pays n'ont pas encore réussi à mettre en œuvre des taxes carbone, à l’instar du lobbying d’acteurs du secteur pétrolier ou de l'opposition des consommateurs face à une taxe qui ferait grimper le prix de certains biens et services(4). De plus, certains arguent que les taxes sont destructrices d’emplois parce qu’entraînant une chute de la consommation et de la production. Étant donné que l’énergie représente une part plus importante du panier de consommation des ménages à faible revenu, l’imposition d’une taxe sur le carbone est également perçue comme injuste puisqu’elle pèserait davantage sur ces derniers par rapport aux plus aisés(5).
Dans la mesure où une tonne de CO2 provoque les mêmes dommages dans le temps, quel que soit l'endroit où elle est émise, il devrait idéalement y avoir un unique prix du carbone au niveau mondial. Or, le prix varie actuellement de 0 à plus de 130 dollars la tonne(6), creusant les inégalités entre les pays et les industries et entraînant des fuites de carbone.
Afin de les prévenir, la Commission européenne a adopté en juillet 2021 une proposition de nouvelle taxe carbone aux frontières qui imposerait un prix du carbone aux importations sur une sélection de produits, équilibrant ainsi le coût domestique et importé du carbone. Toutefois, au-delà des défis techniques associés, imposer une taxe carbone aux frontières – qui pèsera principalement sur les pays émergents dérogeant aux normes européennes – interroge compte tenu de la profonde inégalité énergétique mondiale. De plus, pour les pays disposant de stocks importants d'infrastructures carbonées, un défi important portera sur l'héritage des investissements passés sous la forme d'actifs devenus obsolètes, ce qui implique que la gestion des problèmes de redistribution des coûts de transition au sein des pays peut devenir un obstacle plus grand que celle entre les pays(7).
Source : BLS, Rothschild & Co Asset Management Europe, septembre 2022.
Source : Ministère de la Transition Energétique, Rothschild & Co Asset Management Europe, septembre 2022.
En conséquence, le FMI a proposé l'établissement d'un prix plancher international pour le carbone, c'est-à-dire, un prix minimum payé pour le CO2 et les autres GES. Cela permettrait de résoudre le problème des fuites de carbone en incitant les pays à réduire leurs émissions plutôt que de s'appuyer sur un mécanisme d'ajustement aux frontières.
Dans le cadre de cette proposition, les pays à faible revenu seraient encouragés à participer par le biais de deux mécanismes : (1) un prix plancher du carbone inférieur à celui qui s'appliquerait aux pays à revenu élevé, et (2) une aide financière provenant d'un fonds mondial qui serait financé par un pourcentage des recettes provenant des systèmes de tarification du carbone des économies avancées(8).
En revanche, bien que des actions mondiales coordonnées aient pu avoir lieu par le passé(9), il demeure difficile de s'entendre sur un prix mondial commun du carbone alors même que ses effets varient selon les économies et les industries, et que les négociations concernant la redistribution des revenus à destination des agents économiques les plus touchés n’ont, pour l’instant, toujours pas abouties même si le constat des experts semblent implacable : les avantages d'une action climatique forte l'emportent sur les coûts de l'inaction.
(1) Banque Mondiale, State and Trends of Carbon Pricing, 2021.
(2) David L. Chandler, “Carbon taxes could make significant dent in climate change”, MIT News Office, 6 avril 2018.
(3) Ricke, Katharine, Laurent Drouet, Ken Caldeira, et Massimo Tavoni, “Country-Level Social Cost of Carbon.» Nature Climate Change 8, 895–900, 2018.
(4) Sterner. T. et G. Köhlin, “Pricing carbon: The challenges”, Towards a Workable and Effective Climate Regime, Centre for Economic Policy Research, 2015.
(5) Marron, Donald, Eric Toder, et Lydia Austin, “Taxing Carbon: What, Why, and How”, Brookings Tax Policy Center, 2015.
(6) Source: Bloomberg, septembre 2022.
(7) Kemal Dervis, “Carbon border tax can aid global sustainability, but at what costs?”, Forum économique mondial, 13 février 2020.
(8) Forum économique mondial, “Increasing Climate Ambition: Analysis of an International Carbon Price Floor”, 2021.
(9) Par exemple, le Protocole de Montréal de 1987 a été introduit pour lutter contre les substances qui appauvrissent la couche d'ozone et la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance de 1983 traite des polluants atmosphériques à l'origine des pluies acides.