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Eco-Note : Appréhender le risque d'une spirale salaire-prix

Stratégie  —  06/07/2023

Marc-Antoine Collard

Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique

Les mécanismes de fixation des salaires et des prix jouent un rôle important dans l'évolution des politiques monétaires. Bien que les investisseurs soient convaincus que l’inflation reviendra bientôt à la cible, l’évolution du marché du travail pourrait venir jouer les trouble-fête.

Nous ne sommes plus dans les années 1970…

La flambée des prix des produits de base, à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, a exacerbé les pressions inflationnistes déjà élevées provoquées par les pénuries et les perturbations des chaînes d’approvisionnement dues à la pandémie. À cet égard, la situation ressemble aux chocs pétroliers des années 1970. En outre, à l'époque comme aujourd'hui, les politiques monétaire et budgétaire ont été préalablement très accommodantes.

Cependant, dans les années 1970, l'indexation générale des salaires constituait un puissant moteur de la spirale salaire-prix : lorsque les prix à la consommation accéléraient, les salaires progressaient automatiquement au même rythme, ce qui augmentait les coûts des entreprises en proportion de leur masse salariale, entraînant ainsi les prix à la hausse. Mais dans les années 1980, la plupart des pays ont décidé d’arrêter, voire d’interdire, les clauses d'indexation. En outre, un changement de paradigme s'est opéré dans les cadres de la politique monétaire.

À cette époque, les mandats des banques centrales comportaient de multiples objectifs concurrents, notamment en matière de production et d'emploi, et les décideurs étaient enclins à attribuer la hausse de l'inflation à des facteurs temporaires et exceptionnels.

Désormais, les banques centrales ont des mandats clairs en matière de stabilité des prix, exprimés sous la forme d'une cible d'inflation explicite, et ont obtenu des résultats crédibles dans la réalisation de leurs objectifs. Par conséquent, l'inflation – en particulier la composante sous-jacente – est devenue beaucoup moins sensible aux chocs transitoires sur les prix.

Les investisseurs sont ainsi convaincus que l’inflation convergera assez rapidement vers les cibles des banques centrales. En effet, après des décennies favorables au renforcement de leur crédibilité, les attentes en matière d'inflation devraient rester bien ancrées. Par ailleurs, à mesure que les politiques monétaires sont resserrées et que les effets des mesures de relance budgétaire liées à la pandémie s’estompent, la demande ralentira. Simultanément, l’atténuation des perturbations de l'offre causées par la guerre en Ukraine et des problèmes en matière de chaînes de production favorisera la normalisation du prix des matières premières..

...Pour autant le marché du travail jouera un rôle clé dans les perspectives d'inflation

Cependant, l'évolution de la dynamique d'inflation dépendra de plusieurs facteurs et notamment du marché du travail. À cet égard, le modèle WS/PS(1) constitue un bon point de départ. En particulier, quatre facteurs peuvent déterminer la vitesse à laquelle l'inflation est susceptible de converger vers les objectifs des banques centrales : l'ampleur du rattrapage des salaires réels, le degré d'ancrage des anticipations d'inflation, la pente de la courbe de Phillips et la réaction des prix aux salaires.


A. L'ampleur du rattrapage des salaires réels

En théorie, plus le taux de chômage est bas, plus la croissance des salaires nominaux est élevée. Toutefois, si l'inflation réalisée s'avère supérieure à l'inflation prévue, les salaires réels (ou le pouvoir d'achat) finiront par être inférieurs aux hypothèses des travailleurs. L'année suivante, deux possibilités s’imposent : soit cette perte ne sera pas prise en compte dans la fixation des salaires, soit les travailleurs souhaiteront recouvrer leurs pertes. Il est évident que le choix de l'une ou l'autre trajectoire a une incidence considérable sur la dynamique de l'inflation.


B. Le degré d'ancrage des anticipations d'inflation

L'ancrage des anticipations d'inflation est une condition nécessaire au maintien de la stabilité des prix par les banques centrales, car il limite la formation de boucle salaires-prix consécutive à des chocs temporaires d’inflation. Les salaires pourraient être fixés sur la base d’un taux d’inflation attendu constant (c’est-à-dire, l'objectif d'inflation de la banque centrale) peu importe l’inflation réalisée. Dans ce cas, la crédibilité de la banque centrale est très forte. En revanche, plus les anticipations sont désancrées, plus l'inflation de l'année précédente s’avère centrale dans les projections d’inflation, car la crédibilité de la banque centrale est remise en question.

C. La pente de la courbe de Phillips

La courbe de Phillips illustre une relation négative entre le taux de chômage et l'inflation. Ainsi, lorsque le taux de chômage est faible, le taux d’inflation a tendance à être élevé puisque, d’une part, les salariés ont un pouvoir de négociation élevé, et d’autre part, les entreprises ont tendance à détenir un pouvoir élevé de fixation des prix (« pricing power »).

Si l'on suppose que la pente est relativement plate, alors, même des marchés du travail très tendus ont un effet limité sur l'inflation des salaires, et donc sur l’inflation. Toutefois, si la relation n'est pas linéaire, l'effet du chômage devient de plus en plus important à mesure que ce dernier devient faible, et une surchauffe du marché du travail peut dès lors entraîner une pression substantielle sur l'inflation des salaires.


D. La réaction des prix aux salaires

La question ici est de comprendre si les mouvements des salaires, ou plus précisément les mouvements des coûts unitaires de main-d'oeuvre, sont entièrement répercutés sur les prix, et si les entreprises disposent d'un fort pouvoir de fixation des prix.

Une évolution incertaine

Historiquement, les données empiriques suggèrent que le rattrapage des salaires réels est limité, que les attentes d’inflation sont ancrées et que la courbe de Phillips est relativement plate(2). À cet égard, les investisseurs pourraient avoir raison d’anticiper un retour en douceur de l'inflation vers l'objectif fixé. Toutefois, plusieurs éléments méritent d'être examinés de plus près.

Tout d'abord, les dernières décennies, caractérisées par une inflation stable et l'absence de chocs d'offre négatifs pertinents sur les marchés du travail et des biens, pourraient ne pas constituer un guide fiable. Lorsque les salaires nominaux n’accusent que peu de retard par rapport aux prix, c'est-à-dire, lorsqu'il n'y a pas de perte significative de pouvoir d'achat, il n’est pas étonnant que les travailleurs ne tiennent pas réellement compte de leurs erreurs de projections en matière d’inflation.

En revanche, lorsque cette dernière est nettement plus élevée et ce, pendant une période prolongée, les travailleurs pourraient y prêter une attention particulière et ainsi exiger un rattrapage de la perte de leur pouvoir d'achat. Qui plus est, obtenir des augmentations de salaire est facilité par un pouvoir de négociation élevé dans un contexte de marché du travail très tendu.

En effet, dans de nombreux pays, les emplois vacants ont été difficiles à pourvoir à la suite de la pandémie, ce qui peut s'expliquer en partie par un changement des préférences des travailleurs en matière d'emploi. Par exemple, aux États-Unis, le nombre de démissions par rapport aux postes vacants a davantage augmenté qu’habituellement, suggérant que les travailleurs ne se contentent pas de saisir les opportunités, mais recherchent également de meilleures conditions de travail. En outre, la pandémie a entraîné une inadéquation sectorielle et professionnelle qui pourrait être responsable d’une partie des tensions sur le marché du travail, les travailleurs mettant plus de temps à trouver un emploi dans de nouveaux secteurs et de nouvelles entreprises. Les tensions reflètent également la lenteur de la reprise de l'offre après la pandémie avec, en particulier, une diminution de la participation des travailleurs âgés à la population active. De plus, dans certains pays, les travailleurs peu qualifiés opérant dans des secteurs à forte intensité de contact avec des personnes sont restés en dehors de la population active, réduisant ainsi l’offre de travail.(3)

Par ailleurs, les années 1970 ont montré que les anticipations d'inflation finissaient par se désancrer en raison de la persistance de prix élevés et de chocs inflationnistes répétés. Or, bien que la crédibilité des banques centrales soit aujourd’hui plus robuste, une diffusion plus large et plus rapide de l'information pourrait néanmoins servir de catalyseur à un relâchement des anticipations d'inflation. Dans ce cas, la trajectoire des taux d'intérêt nécessaire pour ramener l'inflation à l'objectif serait plus importante que celle actuellement anticipée par les marchés financiers.

En outre, de nombreuses recherches montrent qu'il existe un lien entre le coût unitaire de la main-d'œuvre (CUM) et l'inflation, bien que l'interaction ne soit pas linéaire. Sans surprise, la relation est faible à court terme, mais la littérature académique suggère que le lien dépend du régime d'inflation qui prévaut dans l'économie : lorsque l'inflation est élevée, la relation se renforce, d’autant plus lorsque la hausse des prix s’effectue sur une période longue(4). De même, les coûts unitaires de main-d'œuvre dépendent, certes, des coûts du travail, mais également de la productivité. Les entreprises peuvent absorber des coûts de main-d'œuvre plus élevés en réduisant leurs bénéfices, mais aussi en recourant à l'automatisation et à d'autres méthodes pour améliorer leur efficacité. Ainsi, des salaires plus élevés combinés à une productivité robuste empêcheraient une accélération des coûts salariaux unitaires, et donc des pressions inflationnistes. Or, la pandémie a frappé l'économie mondiale après une décennie marquée par une baisse généralisée de la croissance de la productivité, et cette tendance se poursuit.

Par conséquent, un marché du travail tendu combiné à une croissance décevante de la productivité constitue un environnement toxique pour les perspectives d'inflation. Dans ce contexte, le scénario des investisseurs misant sur un retour relativement indolore des taux d’inflation aux cibles des banques centrales pourrait s’avérer hautement incertain. L’histoire montre d’ailleurs qu’au début des années 1980, le Président de la Fed Paul Volcker a été contraint de détériorer le marché du travail pour juguler l’inflation. Plus globalement, le resserrement des politiques monétaires dans le monde a contribué à la récession mondiale de 1982, mais l'inflation mondiale est retombée à environ 5 % par an, en moyenne, pendant le reste des années 1980, contre plus du double lors de la décennie précédente(5). Le resserrement monétaire s’est ainsi révélé douloureux à court terme, mais bénéfique à long terme pour ancrer la crédibilité des banques centrales.

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(1) Layard, R., Nickell, S., Jackman, R., “Unemployment, macroeconomic performance and the labour market”,  Oxford University Press, 1991
(2) Olivier Blkanchard, “Why I worry about inflation, interest rates, and unemployment”, PIIE, 2022
(3) IMF, “Labor Market Tightness in Advanced Economies“, 2022
(4) Bobeica, E., Ciccarelli, M., Vansteenkiste, I., ”The link between labor cost and price inflation in the euro area”, ECB Working paper, 2019
(5) Source : Banque Mondiale, 2023