Marc-Antoine Collard
Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique

L’économie américaine présente un paradoxe. D’un côté, les données récentes indiquent un climat des affaires et une confiance des ménages qui faiblissent, avec en toile de fond un marché du travail déclinant. De l’autre, le modèle « GDPNow »1 de la Fed d’Atlanta prévoit une croissance robuste à court terme, la consommation et l’investissement – en particulier dans la technologie – fournissant un soutien significatif, nonobstant le fait que le taux tarifaire effectif global des États-Unis ait atteint son niveau le plus élevé depuis 1933.
Cette divergence est importante puisque le « GDPNow »1 a historiquement offert une mesure fiable de la dynamique à court terme, soulignant la complexité de l’interprétation du cycle actuel. Si ces projections se confirment, le scénario d’un ralentissement significatif imminent entraîné par un retournement du marché du travail s’avère improbable, ce qui fragiliserait l’argument en faveur de baisses agressives des taux d’intérêt, d’autant plus que l’inflation est repartie à la hausse.
En réalité, le défi de l’inflation va au-delà des lectures actuelles. Après plus de quatre ans de dépassement de son objectif de 2 %, la Fed est de plus en plus préoccupée par le risque de désencrage des anticipations d’inflation alors que les récentes enquêtes montrent une certaine perte de crédibilité. Ce changement, bien que modeste, est significatif : si les entreprises et les consommateurs commencent à anticiper un taux d’inflation constamment supérieur aux engagements de la banque centrale, les négociations salariales et les ajustements des prix pourraient renforcer la pression à la hausse et nourrir des effets de second tour, rendant la désinflation plus difficile à atteindre.
La réunion de septembre de la Fed a reflété cette tension. Les membres du FOMC 2 ont procédé à une baisse du taux directeur, reconnaissant les risques baissiers pesant sur l’objectif de plein emploi. En revanche, ils ont également appelé à la prudence face aux pressions inflationnistes persistantes. Si les investisseurs s’attendent à plusieurs baisses du taux directeur, le ton de la Fed suggère plutôt une approche progressive, soucieuse d’éviter un pivot prématuré qui pourrait déstabiliser les anticipations d’inflation. Ainsi, le président Powell a réitéré que les décisions futures dépendront de l’évolution des données macroéconomiques, mais la fermeture de la plupart des agences gouvernementales – le « shutdown »3 – limitera l’accès aux statistiques clés portant sur la main-d’œuvre et l’inflation, ajoutant une autre couche d’incertitude.
Les perspectives économiques en Zone Euro demeurent fragiles, car la résilience observée plus tôt cette année a principalement été basée sur des facteurs temporaires. Au premier trimestre 2025, le PIB a été soutenu par une forte hausse en Irlande qui représentait une part disproportionnée des 0,6% de croissance 4, liée au « front loading » 5 dans le secteur pharmaceutique.
Au deuxième trimestre, le contributeur le plus notable a été l’accumulation des stocks, ce qui soulève des questions quant à sa durabilité puisqu’une croissance tirée par les stocks est rarement le signe d'une demande sous-jacente robuste.
Certes, des mesures de soutien budgétaire – comme les mesures de relance en Allemagne et l’augmentation des dépenses de défense – pourraient atténuer l’impact des perturbations du commerce mondial. Cependant, malgré un marché du travail robuste, la consommation des ménages est restée faible depuis le début de l’année, et l’évolution erratique de la confiance des consommateurs ne suggère pas une amélioration imminente.
La dynamique de l’inflation reste un point central pour la BCE. Selon les dernières estimations, l’inflation globale a atteint 2,2 % en septembre, contre 2,0 % au cours des trois mois précédents, une légère accélération liée à un effet de base sur les prix de l’énergie tandis que l’inflation sous-jacente est restée stable à 2,3 % 4. L’inflation des biens industriels hors énergie est restée à 0,8% 4 pour le troisième mois consécutif, ce qui suggère que les forces désinflationnistes – découlant d’un euro plus fort et d’un éventuel détournement des exportations en provenance de Chine – n’ont pas encore exercé de pression à la baisse sur les prix des produits industriels de base.
Dans le même temps, l’inflation des services – un indicateur scruté de près car directement corrélé aux dynamiques sous-jacentes de l’inflation – a légèrement augmenté de 0,1 point de pourcentage pour s’établir à 3,2 %4, soulignant le dilemme de la BCE. En effet, bien que les progrès sur la désinflation soient évidents, des risques à la hausse persistent, en particulier si le rebond des prix de l’énergie ou les impulsions budgétaires s’avèrent plus fortes que prévu.
La présidente Lagarde a réitéré que tout ajustement futur des taux sera progressif et subordonné aux statistiques économiques. En conséquence, la BCE semble déterminée à maintenir un statu quo jusqu’à la fin de l’année. Cette approche prudente reflète un thème plus large : les banques centrales accordent une attention toute particulière au maintien de leur crédibilité, dans un contexte où les anticipations d’inflation restent sensibles.
Les PMI de septembre en Chine suggèrent que l’économie poursuit son ralentissement et reste sous pression malgré plusieurs politiques de soutien. Dans le secteur manufacturier, l’indice a augmenté de 0,4 point pour s’établir à 49,87, ce qui indique un ralentissement du rythme de contraction. De son côté, le PMI6 de la construction a montré une tendance similaire, en hausse de 0,2 point à 49,37 , ces deux secteurs ayant été soutenus par l’amélioration des conditions météorologiques et une reprise d’activité après des pauses temporaires de production. Cependant, le secteur des services s’est affaibli alors que la fin de la saison estivale a pesé sur la demande, l’indice reculant de 0,4 point à 50,17. Dans l’ensemble, la confiance des entreprises en septembre est restée modeste, ce qui laisse présager un ralentissement probable de l’économie chinoise au S2 2025.
Le secteur immobilier continue de peser lourdement sur la confiance, freinant les dépenses des ménages et l’investissement. Les prix des logements neufs et existants ont continué à baisser, ce qui a renforcé la prudence des consommateurs.
De plus, les conditions extérieures ajoutent de la complexité au tableau. La performance des exportations, soutenue plus tôt par un « front loading » 5 anticipé avant les hausses tarifaires, perd de l’élan à mesure que la demande mondiale s’affaiblit et que les mesures protectionnistes se multiplient.
Bien que les autorités aient déployé des mesures ciblées – telles que des remises d’impôts et des injections sélectives de liquidités – l’ampleur du stimulus reste modeste par rapport aux cycles précédents, reflétant des préoccupations concernant notamment la stabilité financière. Ainsi, les décideurs politiques sont confrontés à un exercice d’équilibriste délicat : soutenir la demande intérieure sans alimenter les bulles d’actifs ni exacerber les vulnérabilités liées au problème de surendettement. Des signaux récents suggèrent une approche incrémentale plutôt qu’un vaste plan de relance, renforçant l’idée d’un ralentissement économique géré.
Achevé de rédiger le 6 octobre 2025.