
Marc-Antoine Collard
Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique
Depuis la pandémie, l'économie américaine a prouvé à de nombreuses reprises sa résilience, défiant les projections de récession. Pour autant, les chocs s'accumulent : guerre commerciale de même qu’incertitudes fiscale et migratoire.
Jusqu'à tout récemment, les investisseurs étaient d’avis que Trump utilisait principalement les menaces de tarifs douaniers comme une tactique de négociation afin d’obtenir des concessions. Ce point de vue apparaît désormais bien naïf, surtout au vu des développements récents.
En effet, l'Administration américaine a annoncé des droits de douane de 25 % sur la plupart des importations canadiennes et mexicaines et le doublement des tarifs sur la Chine. À n’en pas douter, les consommateurs et les entreprises ressentiront l'impact de ces nouvelles taxes sur environ 1,5 trillion de dollars d'importations américaines, soit plus de deux cinquièmes du total, tandis que le taux moyen de tarifs sur les importations atteint désormais son niveau le plus élevé depuis les années 19402.
Les chaînes d'approvisionnement nord-américaines – notamment l'industrie automobile – seront profondément perturbées et ces tarifs engendreront des contestations juridiques puisqu’ils contreviennent à l’accord de libre-échange que Trump lui-même a renégocié lors de son premier mandat. Cela constitue un choc d'offre négatif pour l'économie américaine, risquant de raviver l'inflation que la Fed peine à contrôler, d’autant plus que d'autres tarifs sont à prévoir.
Ainsi, une taxe de 25 % sur les importations en provenance de l’Union Européenne semble également en préparation. Des tarifs sur l'acier et l'aluminium doivent entrer en vigueur le 12 mars, et début avril, des tarifs réciproques sur tous les partenaires commerciaux américains sont prévus, en plus de taxes sectorielles sur l’automobile, les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques.
Dans l'ensemble, la nouvelle politique commerciale américaine alimentera l'inflation, mais pourrait également ralentir la croissance économique, réduire les bénéfices des entreprises, augmenter le chômage, aggraver les inégalités, diminuer la productivité et augmenter les tensions mondiales.
Trump et ses alliés rejettent les avertissements de la grande majorité des économistes qu’une guerre commerciale d’une telle ampleur risque non seulement de stimuler l’inflation, mais ne parviendra probablement pas à rapporter les revenus espérés pour financer le coût des promesses électorales. Le modèle de prévision GDPNow de la Fed d'Atlanta prévoit une baisse du PIB de -2,4 % en glissement trimestriel annualisé pour le premier trimestre 20252. Cette prévision évoluera évidemment à mesure que de nouvelles données économiques sont disponibles, et la plupart des investisseurs sont réticents à réviser à la baisse leurs prévisions de croissance – actuellement de +2,2 %2 – en raison de l'incertitude élevée. Il demeure cependant que plusieurs autres éléments suscitent des doutes significatifs quant aux perspectives de croissance économique des États-Unis.
La répression des migrants illégaux risque de faire apparaître des pénuries de main-d'œuvre qui ne seront pas faciles à combler à court terme, tandis qu'un ralentissement plus large de l'immigration, avec moins d'arrivées nettes par an, constitue également un important vent contraire.
De plus, les vagues de licenciements initiées par le Département de l'Efficacité Gouvernementale (DOGE) de Musk ont déjà conduit des milliers de travailleurs fédéraux à perdre leur emploi, avec des effets en chaîne pour de nombreux sous-traitants. En agissant précipitamment, cette politique d’austérité non seulement concentre les effets économiques négatifs, mais crée également de l'incertitude.
La théorie économique distingue deux sources d'inflation : l’offre et la demande. Le cycle économique génère de l'inflation par la demande, et la politique monétaire agit sur celle-ci via des mouvements de taux directeur. À cet égard, les années 2010 ont été une période de faible croissance et de faible inflation nécessitant une politique monétaire accommodante.
Bien qu’en théorie, les banques centrales sont censées ignorer les chocs d’inflation causés par l'offre puisque les causes de ces chocs échappent à leur contrôle, les anticipations d'inflation jouent un rôle primordiale dans la conduite de la politique monétaire puisqu’elles peuvent s’avérer auto-réalisatrices. La période post-COVID a d’ailleurs été marquée par une forte inflation nécessitant une politique monétaire restrictive bien qu’elle ait été en grande partie le résultat de perturbations des chaînes d’approvisionnement et de goulets d'étranglement, c'est-à-dire liée à une problématique d’offre.
L’élection de Trump et les événements récents suggèrent que la seconde moitié de la décennie 2020 sera marquée par une incertitude géopolitique significative. Pour les banques centrales, les tensions commerciales compliquent les prévisions, car les taxes douanières sont inflationnistes à court terme, mais nuisent également à la croissance, générant ainsi des effets désinflationnistes. Cependant, si les tarifs poussent les attentes d'inflation à la hausse, les banques centrales pourraient être contraintes de maintenir un biais restrictif pendant un certain temps. Les dernières données aux États-Unis appellent à la plus grande prudence, l'enquête de l'Université du Michigan ayant montré que les attentes d'inflation des ménages ont atteint leur plus haut niveau depuis 1995.
Le changement d'orientation de l'administration Trump par rapport à ses alliés et partenaires a eu un effet de séisme politique. Il a convaincu les gouvernements européens que les États-Unis ne sont plus une source de sécurité fiable et qu’ils ne sont pas dignes de confiance pour respecter leurs engagements d'alliance. En conséquence, la Commission européenne a annoncé une proposition de dépenses liées à la défense de près de 800 milliards d'euros – le plan ReArm Europe – composé de 150 milliards d'euros de prêts et 650 milliards d'euros d’espace fiscal supplémentaire3.
Toutefois, la réponse la plus notable au changement de cap américain a été le tournant historique de l'Allemagne en matière de dépenses publiques, ce qui a ébranlé les marchés financiers et fait grimper brusquement l'euro et les coûts d'emprunt souverains. Les propositions allemandes incluent un véhicule financier spécial de 500 milliards d'euros pour l'investissement dans les infrastructures publiques au cours de la prochaine décennie et une réforme de la règle de frein à l’endettement pour exempter toutes les dépenses de défense au-delà de 1 % du PIB2, permettant ainsi des emprunts illimités dans ce domaine. Ce changement sismique de la politique fiscale devrait donner un coup de pouce à l'économie allemande en difficulté, tant d’un point de vue cyclique que structurel.
Bien que l'impact sur l’activité économique d'un projet fiscal d'une telle ampleur soit significatif, les investissements supplémentaires ne seront cependant déployés que progressivement et devraient dans un premier temps porter le déficit budgétaire à 5-6 % du PIB2, entraînant vraisemblablement des taux d'intérêt plus élevés. Les perspectives à court terme pourraient ainsi être davantage dominées par le choc d'incertitude émanant de la politique commerciale et étrangère des États-Unis.
Pour la troisième année consécutive, la Chine s’est fixé un objectif de croissance économique ambitieux d’environ 5 % pour 20252 lors de sa session parlementaire annuelle, ce qui a renforcé les attentes de mesures de soutien supplémentaires qui seraient annoncées plus tard cette année. Les autorités anticipent d’ailleurs le plus important déficit fiscal en plus de trois décennies et se sont engagées à porter les émissions d'obligations par les gouvernements locaux à des niveaux records.
Cela reflète la détermination du gouvernement à soutenir la croissance face aux incertitudes extérieurs, alors que les États-Unis ont imposé une taxe de 20 %2 sur toutes importations chinoises, le double par rapport à la guerre commerciale du premier mandat de Trump. Cela menace de paralyser le moteur de croissance que représentent les exportations ayant contribué à près d'un tiers de l'expansion économique l'année dernière.
Toutefois, l'adoption de mesures de relance plus conséquentes pour atténuer les effets de la guerre commerciale avec les États-Unis pourrait compromettre les efforts déployés par la Chine pour contrôler la croissance de sa dette. En outre, bien que le yuan se soit déprécié de plus de 10 % par rapport au billet vert lors de la première guerre commerciale en 2018 et 20192 afin de compenser une partie de la hausse des droits de douane, le niveau déjà bas de la monnaie limite cette fois la marge de manœuvre de la banque centrale chinoise.
Jusqu’à maintenant, l'indice PMI4 manufacturier mondial s'est légèrement amélioré depuis début 2025, atteignant 50,6 en février5, un sommet sur les huit derniers mois. En revanche, la majeure partie du rebond de la confiance pourrait être liée aux décisions des entreprises d’augmenter leurs stocks en prévision de la guerre commerciale, ce qui suggère que l’embellie serait de courte durée. Si l'histoire peut servir de guide, l'indice PMI manufacturier a d'abord augmenté lors de la précédente guerre commerciale en 2017-18, avant de chuter de 10 points par la suite, alors que l'ampleur des perturbations était nettement plus modeste qu'aujourd'hui.
Achevé de rédiger le 07 mars 2025.