Connexion

Mot de passe oublié ?

Code d'accès

Connexion

Mot de passe oublié ?

Connexion

Monthly Macro Insights — Février 2025

Stratégie  —  06/02/2025

Marc-Antoine Collard

Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique

Un conflit avec les partenaires économiques les plus proches des États-Unis pourrait bientôt commencer, et tout laisse à penser que ce n’est que le début d'une guerre commerciale plus large. Les répercussions complètes sont inconnues, mais le coût de l'incertitude pourrait être élevé et augmenter le risque de stagflation.

Une inflation plus élevée et une croissance plus faible ?

Le président américain Donald Trump a annoncé son intention d'imposer de lourds droits de douane sur les biens importés du Mexique, du Canada et de la Chine, et ces derniers ont annoncé leur intention de riposter. Les modèles économiques suggèrent qu'une augmentation soutenue des droits de douane de 25 % suffirait à plonger les économies mexicaine et canadienne en récession. Bien que l'impact sur l'économie américaine soit probablement moins important, il n'est pas non plus négligeable.

Certes, certains secteurs bénéficieraient initialement de l’introduction de barrières commerciales puisqu’une partie de la demande américaine s’écarterait des biens étrangers au profit des biens domestiques. En revanche, ce n'est qu'un côté de la médaille. Près de la moitié des biens importés par les États-Unis proviennent de ces trois pays, et les droits de douane annoncés par Trump, ainsi que les représailles, pourraient à la fois ralentir la croissance économique et augmenter les prix.

En ce qui concerne l'inflation, les économistes ont depuis longtemps compris que les coûts directs des droits de douane pèsent en premier lieu sur les acheteurs domestiques de biens importés, et non sur les entreprises étrangères. Reste à voir quelle proportion de la taxe sera absorbée par les importateurs américains via la réduction de leurs marges, et quelle proportion sera transférée aux consommateurs. Dans tous les cas, cela perturbera les chaînes d'approvisionnement qui ne se sont pas complètement remises des chocs des dernières années, augmentant les coûts pour les entreprises et, finalement les prix à la consommation. La perspective d'une inflation plus élevée due à la guerre commerciale retarderait probablement tout nouvel assouplissement de la Fed et pourrait augmenter les taux d'intérêt à long terme, nuisant ainsi à l'économie dans son ensemble.

Les droits de douane pourraient réduire l'activité économique par d’autres canaux encore. Les États-Unis exportent plus de 750 milliards de dollarsde biens vers le Canada, le Mexique et la Chine, et un ralentissement de la croissance économique dans ces pays pourrait réduire considérablement les exportations américaines, surtout si ces pays sont contraints de riposter de manière à maximiser les conséquences économiques néfastes pour les États-Unis.

De plus, une part importante de la production américaine s’appuie sur l’utilisation d’intrants importés. Par exemple, les voitures traversent plusieurs fois la frontière pendant l'assemblage, et une guerre commerciale rendrait certains secteurs nord-américains beaucoup moins compétitifs.

Tout aussi important, l'incertitude causée par la politique commerciale pourrait freiner la production et l'investissement. Effectivement, les entreprises seront moins enclines à construire une usine au Canada, au Mexique ou aux États-Unis sans connaître à l’avance les droits de douane qui pourraient être imposés. La guerre commerciale de 2018-2019 a d’ailleurs souligné le rôle central joué par les fluctuations de la confiance des entreprises dans la transmission d'un choc tarifaire.

Pour l'instant, l’indice PMI2 portant sur la confiance des entreprises manufacturières s'est quelque peu amélioré au début de 2025 pour atteindre le seuil neutre de 503, partiellement soutenu par le désir des entreprises de constituer des stocks avant l'instauration possible de barrières commerciales plus élevées, ce qui a temporairement stimulé l'activité. De plus, la politique commerciale n'a pas occupé une place importante dans le discours inaugural de Trump, ce qui a initialement rassuré les entreprises et les investisseurs. Pour autant, la confiance sera un déterminant clé des perspectives économiques mondiales, et le moral des entreprises pourrait être fortement affecté après les récentes menaces de la nouvelle administration américaine.

Une nouvelle source de revenus incertaine

Les investisseurs font le pari que les menaces agressives de l’Administration Trump ne sont que des outils pour obtenir des accords de la part des partenaires commerciaux. Cependant, Trump et la plupart de ses conseillers pensent véritablement que les droits de douane pourraient devenir une nouvelle source de revenus, réduisant la dépendance aux impôts sur le revenu dans un contexte de perspectives budgétaires fragiles.

En effet, les niveaux de la dette publique sont élevés dans le monde entier, et les États-Unis ne font pas exception. Leur dette est à des niveaux records et la trajectoire à long terme n'est pas viable, bien qu'un point de basculement précis soit inconnu. Le Congressional Budget Office4 (CBO) prévoit que la dette fédérale brute atteindra plus de 135 % du PIB d'ici 2035, un record dans l'histoire des États-Unis.

Or, ce sont des estimations très conservatrices, car elles supposent que les réductions d'impôts pour les entreprises et les particuliers prévues par la loi de 2017 (TCJA) – qui doivent expirer à la fin de 2025 – ne seront pas prolongées. C'est un scénario hautement improbable, étant donné que les républicains contrôlent le Congrès et la Maison Blanche. De fait, si toutes les dispositions fiscales devaient être prolongées, le déficit serait encore plus lourd qu’actuellement anticipé et la dette augmenterait en conséquence. Enfin, les projections centrales du CBO supposent qu'il n'y aura pas de récession aux États-Unis au cours des dix prochaines années, que l'inflation reviendra à des niveaux normaux et y restera, et que les coûts de financement de la dette resteront faibles. Des taux d'intérêt plus élevés pendant une période prolongée posent évidemment un défi à la viabilité de la dette.

L'ironie de la situation repose sur le fait que, si les droits de douane peuvent effectivement générer des recettes fiscales fédérales supplémentaires, l'augmentation de ces dernières pourrait être beaucoup plus modeste que ce qui est espéré, précisément parce que la base d'imposition, à savoir les importations, diminuera en raison de la guerre commerciale. En fait, le déficit commercial pourrait ne pas s'améliorer beaucoup, voire pas du tout, avec certes des importations moins élevées, mais des exportations également plus faibles.

Conséquences indésirables à long terme

Compte tenu du rapport de force des États-Unis et de la faiblesse de nombreux autres pays – à la fois cyclique et structurelle – l’utilisation du commerce comme arme promet des gains pour les États-Unis à court terme. Cependant, bien que l'incertitude demeure quant au calendrier et à la mise en œuvre des futurs droits de douane, le risque de stagflation a néanmoins augmenté.

Par ailleurs, la politique actuelle menace de démanteler un accord de libre-échange vieux de plusieurs décennies, ce qui pourrait perturber un réseau profondément interconnecté et déprimer le sentiment des entreprises nord-américaines, dont les conséquences non-linéaires peuvent difficilement être capturées dans les modèles économiques.

De plus, face à des défis mondiaux importants, les États-Unis ne peuvent pas agir seuls, sans la coopération active de leurs partenaires. Leur capacité à dominer le système financier et économique mondial est directement liée à la pérennité du réseau d'alliances transatlantiques et transpacifiques. À cet égard, Trump semble avoir gaspillé les alliances et l'influence que ses prédécesseurs avaient construites avant lui, comme en témoigne sa décision de violer l'accord USMCA – un accord que sa propre administration a négocié – qui va à l'encontre du système commercial mondial basé sur des règles que les États-Unis ont contribué à créer après la Seconde Guerre mondiale.

En somme, la nouvelle politique commerciale américaine incitera fortement les pays à réduire leur dépendance économique et financière vis-à-vis des États-Unis, devenu un partenaire sur lequel on ne pourra plus avoir confiance, et à accélérer la fragmentation d'un ordre économique mondial qui a historiquement bien servi l'Amérique. En fin de compte, cela pourrait bien saper l’économie américaine, son pouvoir et sa sécurité nationale.

Achevé de rédiger le 05 février 2025.

(1) Source : Bloomberg, février 2025.
(2) Indice des directeurs d’achat, indicateur reflétant la confiance des directeurs d’achat dans un secteur d’activité. Supérieur à 50 il exprime une expansion de l’activité, inférieur à 50, une contraction
(3) Source : S&P Global, janvier 2025.
(4) Congressional Budget Office : agence fédérale américaine s'occupant d'établir les effets de la dette nationale